Une problématique de l’emploi complexe

Tout le patronat se mobilise pour interpeller François Legault dans ses priorités. Il y a urgence en la demeure en matière de pénurie d’emploi.
Si les libéraux de Philippe Couillard ont été élus notamment sur la promesse de créer 250 000 emplois en cinq ans, ce thème de la création n’est plus d’actualité aujourd’hui. Quatre ans plus tard, le premier ministre désigné doit plutôt faire face à tous ces postes vacants, toujours plus nombreux à combler. À une problématique de la main-d’oeuvre à ce point multidimensionnelle qu’elle appelle à une stratégie globale.
Le p.-d.g. du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Yves-Thomas Dorval, citait mardi des études évoquant 1,5 million de postes à combler d’ici 10 ans. Sur son site, l’organisation souligne à larges traits qu’il faudra remplacer 1,4 million de travailleurs d’ici 2020-2024. On peut comprendre qu’en première réaction, employeurs et associations patronales puissent froncer les sourcils lorsqu’ils entendent qu’un gouvernement caquiste abaissera les seuils d’immigration. Or, le CPQ est le premier à le reconnaître, les immigrants pourraient ne combler que 20 % de la pénurie de travailleurs.
L’immigration fait évidemment partie de la réponse, d’autant que le Québec est aux prises avec un choc démographique et un solde migratoire défavorable. Mais elle apporte ses propres enjeux spécifiques. Des enjeux liés à la langue, avec une proportion d’immigrants ayant le français comme langue maternelle oscillant, bon an, mal an, entre 12 et 14 %. Des enjeux liés aussi à leur intégration et à leur insertion sur le marché du travail qui interpellent une augmentation du taux d’emploi dans cette population, de meilleure qualité, et une amélioration de la reconnaissance des diplômes et des compétences professionnelles.
Ce qui amène à un deuxième élément de la réponse : la formation. Sur ce point, il est connu et documenté qu’aux prises avec un problème criant d’analphabétisation, le Québec fait face à un déficit de littératie qui génère un défi d’employabilité. Une analyse réalisée par l’économiste Pierre Langlois pour la Fondation pour l’alphabétisation et le Fonds de solidarité FTQ, publiée en février, retenait qu’il fallait viser minimalement au niveau 3 du Programme pour l’évaluation internationale des compétences des adultes (PEICA). Or, le pourcentage de Québécois n’atteignant pas ce niveau dit acceptable varie entre 47,5 % et 53,3 % depuis 1989. Et ce n’est pas essentiellement une affaire de décrochage scolaire. Malgré l’obtention d’un diplôme d’études secondaires, 24,1 % des Québécois de 16 à 65 ans ne dépassent pas le niveau 2 et 8,9 % ont à la fois fait des études postsecondaires (sans diplomation universitaire) tout en n’atteignant pas le niveau 3 en littératie, soulignait l’auteur.
À cette majorité de Québécois entrant dans la définition des analphabètes fonctionnels se greffe un secteur manufacturier subissant les contrecoups de la délocalisation, de l’automatisation et de l’intelligence artificielle. Dans la main-d’oeuvre manufacturière québécoise, près de deux travailleurs sur trois ont des problèmes de littératie (niveau 2 et moins), ajoutait l’auteur.
Ce qui rappelle que l’économie québécoise souffre d’une carence chronique en gains de productivité. Troisième élément de la réponse : l’automatisation. Or, cette révolution technologique engendrera beaucoup d’exclus. Robotisation et intelligence artificielle provoqueront leur lot de chômeurs technologiques et exacerberont le problème criant d’employabilité, concluait une étude de l’Institut du Québec publiée en janvier. L’automatisation pourrait provoquer l’élimination, la réduction et la réaffectation partielle ou totale de 1,4 million de postes au Québec d’ici 2030, chiffrait le « géo-économiste et prospectiviste » Éric Noël. Question d’illustrer cette vulnérabilité, deux ans plus tôt, le gouvernement canadien y allait de projections indiquant que les emplois faiblement qualifiés (soit près de 60 % du total à ce moment-là) devraient rester les plus nombreux au cours des dix prochaines années.
Reste la relève entrepreneuriale, quatrième élément de la réponse. Ici aussi l’horizon se veut plutôt sombre. En 2014, le président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, Michel Leblanc, citait une étude réalisée en collaboration avec le cabinet Raymond Chabot Grant Thornton, démontrant un problème majeur de relève entrepreneuriale pouvant provoquer, sur dix ans, une disparition de 5700 entreprises et une perte de 80 000 emplois selon une projection conservatrice, de 10 000 entreprises et de 139 000 emplois selon le pire cas. Les chiffres datent, mais la tendance demeure valable. Il était rappelé que les PME sont responsables de 87 % des emplois créés dans le secteur privé, et qu’il faut situer le tout dans un contexte de baisse du taux entrepreneurial depuis 20 ans.