Nous sommes-nous résignés à une lente dégradation de notre situation financière?

La faillite de la banque d’affaires Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, a plongé l’économie mondiale dans sa pire crise financière depuis la Seconde Guerre mondiale. Ce choc et les effets de la « Grande Récession » qui a suivi, en venant exacerber le creusement des inégalités et alimenter la montée du populisme, restent encore bien ancrés dans notre quotidien économique et social. Neuvième d’une série d’articles sur cette crise, dix ans plus tard.
S’il faut en juger par la place relativement modeste — en comparaison avec d’autres fois — qu’ont occupée les enjeux de création d’emplois, de dette publique, de politique industrielle et même de commerce international au cours de la campagne électorale finissante, les Québécois sont plutôt satisfaits et en paix en ce qui a trait à l’état de leur économie. À moins que cette apparente sérénité cache, en fait, une certaine résignation devant le sentiment d’une inéluctable dégradation des conditions de vie.
À en croire sa plus récente mesure réalisée par le Groupe Altus pour le compte du Conseil québécois du commerce de détail et dévoilée mardi, l’indice de confiance des Québécois envers l’économie et leur situation financière s’est un peu tassé, mais se maintient à un niveau relativement élevé depuis un an. Une majorité (40 %) des quelque 500 répondants au sondage conduit du 4 au 19 septembre (pour une marge d’erreur de 4,5 %, 19 fois sur 20) s’attendrait notamment à ce que les 3 prochaines années soient marquées par une croissance de l’économie québécoise, contre 28 % qui craignent plutôt une période de chômage ou de récession et 21 % qui entrevoient une situation plus près de la stagnation.
Il est vrai qu’en dépit d’un rebond les deux derniers mois, le taux de chômage était encore à un niveau remarquablement bas au mois d’août à 6,1 %, et qu’au terme de la première moitié de l’année, l’économie québécoise affichait une respectable croissance de 3,1 % par rapport à la même période l’an passé. Quant aux finances publiques, il n’y a qu’à écouter les partis politiques en campagne électorale pour comprendre qu’on ne s’en fait plus avec les déficits budgétaires à Québec.
Sortie de crise
Les Québécois ne sont pas les seuls à penser que leur économie se porte plutôt bien ces temps-ci, révèle une vaste enquête d’opinion du Pew Research Center réalisée ce printemps dans une trentaine de pays et dont les résultats ont été dévoilés mercredi. Près des deux tiers des Canadiens, des Américains et des Australiens, et près de 80 % des Allemands et des Suédois l’affirment en tout cas, contre environ la moitié des Français (43 %), des Japonais (44 %) et des Britanniques (46 %), et seulement 15 % des Italiens ou des Argentins. Au Canada, 7 % des répondants parlent d’une situation économique « très bonne » et 56 % la qualifient de bonne, contre 24 % qui la disent plutôt mauvaise et 10 %, très mauvaise.
Ces chiffres représentent un changement complet d’humeur par rapport à il y a 10 ans, alors que le monde était au plus creux de la Grande Récession, observe le Pew Research Center. La proportion de répondants à qualifier la situation économique de bonne était alors de seulement 43 % au Canada, de 28 % en Allemagne, de 17 % aux États-Unis et de 14 % en France.
Donc tout le monde est heureux et tout va bien ? Pas vraiment.
Si la tendance se maintient…
C’est que les sondeurs ont aussi demandé de comparer la situation financière actuelle des gens ordinaires avec celle qu’ils avaient il y a 20 ans. On leur a répondu que cette situation s’était dégradée dans la grande majorité des pays. Au Canada, près de la moitié des répondants (48 %) estiment ainsi que les gens ordinaires sont plus mal lotis aujourd’hui qu’en 1998, contre 27 % qui pensent, au contraire, que leur sort économique s’est amélioré et 21 % qui disent qu’il n’a pas changé.
D’accord. Les dernières années ont peut-être été difficiles pour le travailleur moyen, avec la montée des inégalités, le recul des emplois manufacturiers et le rétrécissement du filet social. Mais la tendance depuis la fin de la Grande Récession n’annonce-t-elle pas des jours meilleurs ?
Les citoyens de la plupart des pays ne le croient pas. Plus de la moitié des Allemands, des Suédois et des Américains pensent que la situation financière des enfants d’aujourd’hui sera moins bonne lorsqu’ils auront atteint l’âge adulte que celle de leurs parents. Cette proportion de pessimistes grimpe à 61 % en Italie, 70 % au Royaume-Uni, 76 % au Japon et 80 % en France.
Au Canada, ce sont les deux tiers (67 %) des personnes qui prédisent à leurs enfants des jours économiques plus sombres, contre seulement le quart (25 %) qui pense que leur situation financière sera meilleure que celle de la génération précédente et 9 % qui ne s’attendent à aucun changement ou qui ne savent pas.
À bien y repenser, il est finalement étrange que les enjeux économiques n’aient pas occupé plus de place dans la campagne électorale québécoise.