Un amour à rebours pour les robots

Robotisation, intelligence artificielle, objets connectés : les nouvelles technologies obligeront à terme des milliers de travailleurs à acquérir de nouvelles compétences en cours de carrière pour suivre le rythme ou profiter de la manne. Dans ce deuxième de quatre articles sur les visages de la révolution numérique, rencontre avec deux travailleurs qui ont découvert leur amour des robots sur le tard.
Il y a à peine un an, Sylvain Rioux et Nicolas Picard ne se connaissaient pas, et ils connaissaient encore moins le fonctionnement des robots dont ils se chargent aujourd’hui de l’installation dans une salle de classe du collège Ahuntsic.
En cet avant-midi du mois de mai, les deux hommes sont sur le point de terminer leur programme intensif en automatismes industriels et de décrocher le diplôme qui, espèrent-ils, leur permettra d’ouvrir un nouveau chapitre de leur vie.
À 53 ans, Sylvain Rioux est la preuve vivante qu’il n’y a pas d’âge pour se découvrir une passion. Cet ancien électricien n’était pas très à l’aise avec un ordinateur avant de faire son entrée au collège en août 2017. Aujourd’hui, les écrans ne lui font plus peur.
« Comme électricien en haut d’une échelle, je n’avais pas ça, un ordinateur avec moi. Je n’ai jamais vraiment travaillé avec ça, dit-il. En entrant dans le programme, je pensais que j’allais être capable, mais j’ai réalisé qu’en informatique, je ne connaissais pas grand-chose. »
Après avoir obtenu un diplôme d’études professionnelles (DEP) en électricité à la fin des années 1990, il commence à travailler dans une usine qui amorce son virage technologique. « Je m’occupais du branchement des automates industriels, mais la programmation, je ne touchais pas à ça », se souvient-il.

Les emplois qu’il occupe au fil des ans sont exigeants physiquement — avec tous ces gros câbles à transporter — et salissants. « J’ai travaillé dans une usine où il y avait de la poussière de fer et ensuite dans une carrière. Je me suis dit que je voulais travailler dans un endroit propre. »
Retour à la base
Son intérêt pour l’informatique et sa volonté de changer d’environnement le convainquent finalement de retourner aux études. « Avec l’usure du temps, je n’étais plus capable de forcer et je trouvais que le travail de programmation avait l’air amusant, explique-t-il. Sinon, comme je suis limité physiquement, je serais allé travailler au Home Depot dans le département électrique jusqu’à ma retraite. Ça aurait été ça. »
Sylvain reconnaît qu’il n’a pas été facile d’entreprendre une nouvelle formation à son âge, d’autant plus que son parcours s’est avéré plus long que celui de la plupart de ses collègues. « Pour être admis au programme, ça me prenait mes mathématiques 436, que je n’avais pas. J’ai été obligé de reprendre le secondaire 3 et tout le secondaire 4. J’avais 14 livres à passer en huit mois. »
Après avoir travaillé d’arrache-pied pendant des mois, il veut maintenant offrir ses services comme installateur de cellules robotisées. Tout ce qui lui manque, c’est l’anglais.
« Presque tous les emplois demandent d’être bilingue, surtout les compagnies qui ont des clients à l’extérieur du Québec, observe-t-il. Je vais essayer de me trouver un travail et je vais dire à mon employeur que le bilinguisme, ça s’en vient. »
Parce qu’après avoir suivi des cours de mathématiques de niveau secondaire et entrepris une attestation d’études collégiales, il n’a pas l’intention d’en rester là : il veut s’inscrire à des cours d’anglais dès qu’il le pourra.
Grimper le mur
Pour Nicolas Picard, c’est plutôt une épreuve qui l’a poussé à l’action. Cet homme de 42 ans a étudié l’informatique au milieu des années 1990 et a travaillé pendant plusieurs années en soutien technique — à l’époque où les clients confondaient la fenêtre de leur chambre et celle de leur ordinateur, précise-t-il.
Après avoir cumulé les emplois dans différents domaines, il déménage avec sa femme et ses enfants pour devenir opérateur dans une usine alimentaire située à Saint-Denis-sur-Richelieu. « Je voyais que je pouvais en donner plus. Il y a plein de choses qui m’intéressaient », raconte-t-il.
Il devient plus tard superviseur, puis son monde s’écroule : sa femme et lui se séparent, il perd son emploi et tombe au chômage. « Après la perte de mon emploi, j’avais trois choix, évoque-t-il. J’ai le mur qui s’en vient. Soit je fonce dedans, soit j’essaie de le longer, ou bien je me salis les mains, j’installe les grappins et je grimpe le mur. J’ai décidé de grimper le mur et de passer par-dessus. »
De l’autre côté de ce mur, il a trouvé une formation qui lui a permis de prendre un nouveau départ et de donner l’exemple à ses enfants. « J’ai voulu leur montrer que oui, ça arrive des badlucks dans la vie, mais que je me suis retroussé les manches. Et me voici. »
Regarder devant
Tout comme Sylvain, Nicolas a reçu une aide financière du gouvernement du Québec pendant la durée du programme, ce qui lui a suffi pour payer son loyer, sa nourriture et son transport. Il a cependant dû convaincre les fonctionnaires de le laisser travailler au café étudiant pour arriver à payer la pension alimentaire. « Je leur ai dit que ma jobine, ce n’était pas pour avoir plus d’argent au bout du compte. Cet argent-là, je le donnais. »
« Au départ, on se demande si on va être capable de passer au travers, si on va être capable de faire les huit mois au complet. Je pense que tout le monde, dans le groupe, a vécu du découragement à un moment donné, affirme-t-il se remémorant sa dernière année. À certains moments, je suis entré dans le cours le dos courbé, mais maintenant j’ai les épaules vers l’arrière et je regarde en avant. Je l’ai fait, et ça, c’est un sentiment de victoire. »