Facebook, le grand plongeon

Mark Zuckerberg a expliqué que les investissements en sécurité auront des conséquences sur la rentabilité de l’entreprise.
Photo: Josh Edelson Agence France-Presse Mark Zuckerberg a expliqué que les investissements en sécurité auront des conséquences sur la rentabilité de l’entreprise.

Une chute de 19 %, la disparition instantanée de 120 milliards en valeur boursière, des voix qui s’élèvent pour dire que le vent a tourné… Même si sa direction l’avait déjà affirmé, Facebook a décrit plus clairement que jamais mercredi soir un de ses principaux problèmes : les investissements en matière de sécurité minent sa rentabilité.

Même si le titre demeure en hausse de 40 % depuis le mois de mars, l’épisode marque un nouveau chapitre pour l’entreprise. Au moment où le nombre d’usagers stagne à certains endroits, et recule carrément en Europe, Facebook, engluée dans son scandale de gestion des renseignements, doit dépenser des sommes astronomiques pour assurer l’intégrité de son écosystème.

La conférence téléphonique tenue mercredi en soirée a débuté normalement. Son chef de la direction, Mark Zuckerberg, a commencé par souligner que les revenus du deuxième trimestre ont augmenté de 42 % par rapport à l’an dernier, à 13,2 milliards $US, et que la plateforme compte environ 2,2 milliards d’usagers, dont les trois quarts y accèdent quotidiennement. Le bénéfice net s’est chiffré à 5,1 milliards, comparativement à 3,9 milliards en 2017.

Quelques instants plus tard, toutefois, M. Zuckerberg a dit que « nous investissons tellement en sécurité que ça va affecter notre rentabilité ». En fait, a-t-il précisé, « nous commençons à le voir au cours du trimestre ».

Une croissance qui ralentit

 

Son directeur des finances, David Wehner, en a rajouté une couche. Le taux de croissance des revenus a diminué de 7 points de pourcentage entre le premier et le deuxième trimestre, une tendance qui devrait se poursuivre pendant tout le reste de 2018. Un analyste a ensuite invité la compagnie à décrire le rôle de la vidéo dans les revenus de la compagnie, comparativement à d’autres dépenses qui ne rapportent rien pour l’instant, comme la sécurité de l’écosystème. Facebook investit dans ses produits de base, a dit M. Wehner, mais elle doit aussi « effectuer des investissements à long terme » en matière de sécurité. « Ces investissements coûtent des milliards par année. Ils auront un impact sur les marges de profit. »

Dans les échanges en dehors des heures d’ouverture des marchés, l’action de Facebook était en chute libre. À un certain moment, la baisse était de 25 %, une descente dont l’ampleur est du jamais vu pour une entreprise de cette taille. Le recul s’est confirmé dès l’ouverture jeudi. Au final, le titre a terminé la séance en baisse de 19 %, à 176,26 $.

De manière presque unanime, les observateurs ont été étonnés par un scénario de décélération aussi net. « Les résultats du deuxième trimestre et les perspectives sont décevants, mais le mot “étonnant” serait peut-être meilleur », a affirmé JP Morgan dans une note d’analyse diffusée par les médias financiers. « Nous pensons que peu de gens, sinon personne, avaient anticipé ce genre de remise à zéro. »

Un investissement évident

 

« Ils n’ont pas le choix d’investir dans la sécurité. Dès lors qu’on gère les données des autres, et que cette gestion peut avoir un impact négatif sur les personnes elles-mêmes, c’est dans la nature des choses », a dit au Devoir le professeur Vincent Gautrais, titulaire de la Chaire L.R. Wilson sur le droit des technologies de l’information et du commerce électronique à l’Université de Montréal. « Toute industrie doit s’assurer de ne pas générer de dommages vis-à-vis des autres. »

Dans le domaine du Web, il y avait généralement depuis le milieu des années 1990 un régime d’exonération de responsabilité, qui avait d’ailleurs été intégré dans certaines lois, dit M. Gautrais. « Et c’est le cas typique d’une industrie qui n’est pas mature. Dans le sens où toute industrie mature implique des règles de responsabilité classiques. » Il mentionne, en guise d’exemple, l’industrie automobile. Même si l’acheteur d’une voiture ne signe pas de contrat directement avec le constructeur, celui-ci a l’obligation de procéder à un rappel sur ses véhicules en cas de problème.

Environ la moitié des revenus de Facebook vient des États-Unis et du Canada. Le quart provient de l’Europe. Facebook a affirmé que si l’achalandage a diminué en Europe, c’est en raison de l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD). « Le RGPD a été un moment important pour notre industrie, a dit M. Zuckerberg. Le nombre d’usagers actifs sur une base mensuelle a reculé d’environ un million à cause de cela. »

Cet argument ne convainc pas Vincent Gautrais. « La raison première, c’est qu’ils ont, sans doute involontairement, fait preuve d’une diligence pour le moins mitigée à permettre une sorte d’open bar en laissant des gens utiliser les données pour des fins qui n’étaient pas consenties par les individus. […] Je ne vois pas en quoi le règlement aurait une incidence. C’est plus les manquements dans la gestion des données en tant que tels. »

L’avenir s’est-il assombri pour Facebook ? Les réseaux sociaux semblent avoir atteint leur pic, a affirmé sur Twitter l’investisseur Ross Gerber, un invité fréquent de la chaîne financière CNBC. « Facebook a plusieurs défis devant elle. Ce n’est plus la même entreprise. Mais elle est encore en très bonne position. »

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