Les voitures autonomes font réfléchir les assureurs

L’arrivée sur le marché de voitures autonomes, comme celle de Google, forcera les assureurs à mieux déterminer la responsabilité lors d’accidents.
Photo: Eric Risberg Associated Press L’arrivée sur le marché de voitures autonomes, comme celle de Google, forcera les assureurs à mieux déterminer la responsabilité lors d’accidents.

Les véhicules autonomes sont loin d’avoir envahi les routes, mais l’idée d’en voir la multiplication suscite déjà une vaste réflexion parmi les assureurs, tant sur la façon d’écrire les polices d’assurance que sur la responsabilité des dommages causés aux voitures.

Le sujet est revenu jeudi dans un texte publié par l’Institut canadien des actuaires. Son auteur, directeur des politiques au Bureau d’assurance du Canada, a profité de la tribune pour y énoncer les différents changements à prévoir tout en exprimant un certain sentiment d’urgence.

« Quel que soit le degré de réticence à l’achat de ces voitures initialement, il ne fait aucun doute que, dans quelques années, des Canadiens les conduiront, et cela entraînera des changements dans l’activité de l’assurance automobile, qu’il s’agisse de la sélection des risques, de la tarification, de la vente ou de la distribution, ou encore de la gestion des sinistres », a écrit Ryan Stein.

Les niveaux d’autonomie font déjà l’objet d’une classification, laquelle va tout simplement de 0 (aucune automatisation) à 5 (automatisation complète). Québec autorise présentement le véhicule de niveau 3 (automatisation partielle), qui « contrôle tous les aspects de la conduite dynamique » mais qui fait en sorte qu’on « attend [...] que le conducteur réagisse de manière appropriée lorsqu’il lui est demandé d’intervenir », selon un tableau reproduit par la Société d’assurance automobile du Québec.

À l’heure actuelle, la notion de conducteur et de conduite se trouve au coeur de l’assurance, dit Line Crevier, responsable des affaires techniques, Groupement des assureurs automobiles (GAA). « La police repose là-dessus, la tarification, l’établissement de la responsabilité… Tout ce qui traite de conduite ou de conducteur devra être revu pour parler peut-être plus d’utilisateur ou d’opérateur, pour élargir la notion. »

Un autre volet, dit Mme Crevier, concerne la cueillette des données. Le GAA récolte les données concernant les accidents, « mais c’est beaucoup basé sur l’expérience des conducteurs ». Cela permet par exemple d’établir les échelles de tarification. Or, « à un moment, il faudra peut-être avoir des données sur la performance des véhicules. Si la voiture n’a pas de conducteur, on voudra peut-être savoir quels véhicules sont les plus sécuritaires ». Par ailleurs, si un accident se produit, faudra-t-il inscrire au fichier central des sinistres automobiles que la personne était sur le mode conduite ou pas ? « On a déterminé des préoccupations, mais on n’a pas encore trouvé les solutions nécessairement. »

Rien n’empêche la SAAQ de poursuivre un fabricant qui n’est pas un résident québécois pour lui demander une indemnisation afin de rembourser les prestations qu’elle a eu à payer

Indemnisation des victimes

Au chapitre des dommages corporels, la situation dans certaines autres provinces peut être compliquée du fait qu’elles ne disposent pas, comme le Québec, le Manitoba et la Saskatchewan, d’un régime d’assurance sans égard à la responsabilité (le « no fault »).

« Au Québec, c’est simple. C’est la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) qui indemnise les accidents, même quand l’auto a explosé d’elle-même », dit Daniel Gardner, professeur de droit à l’Université Laval, où il enseigne notamment la responsabilité civile. « Ça sera la même chose lorsque les voitures autonomes seront là. »

M. Gardner a rappelé que les recours au Québec ne sont pas autorisés, de la part de la victime comme de la part de la SAAQ. « Mais rien n’empêche la SAAQ de poursuivre un fabricant qui n’est pas un résident québécois pour lui demander une indemnisation afin de rembourser les prestations qu’elle a eu à payer. »

Cette notion pourrait aussi s’appliquer sur le plan des dommages matériels. La loi oblige présentement les automobilistes à se procurer une assurance pour couvrir les dommages potentiels aux autres véhicules, mais pas pour le leur. M. Gardner pose alors cette question : « Qu’est-ce qui va arriver lorsque le véhicule va heurter un poteau, une clôture ou une chaîne de trottoir ? Théoriquement, ça serait la faute du véhicule. Comment le fabricant pourrait-il ne pas être tenu pour responsable ? Il va falloir ajuster les polices d’assurance. »

Ce qui risque d’arriver, dit alors Daniel Gardner, c’est que l’assureur indemniserait le propriétaire du véhicule mais se retournerait ensuite contre le constructeur automobile. Les compagnies d’assurance ont déjà cette possibilité, mais elles ne la mettent pas souvent à exécution. « Il y aura peut-être davantage de recours contre les fabricants », confirme Line Crevier.

Si jamais les voitures autonomes font diminuer le nombre d’accidents, faudra-t-il prévoir une baisse des primes d’assurance ? Peut-être pas, répond Mme Crevier, qui fait valoir que la conception sophistiquée des voitures automatisées fait en sorte que les réparations coûteront plus cher.

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