Le Québec est encore trop souvent dans le brouillard en matière de retraite

La question du financement des retraites a beau être l’un des enjeux les plus importants auxquels fera face le Québec dans les prochaines années, il manque toujours les informations de base permettant de se faire une idée juste sur des pans entiers de la réalité, déplorent des chercheurs.
« Le premier constat auquel on arrive, lorsqu’on se penche sur les questions de retraite au Canada ou au Québec, c’est à quel point on ignore souvent ce qui se passe vraiment sur le terrain », explique Pierre-Carl Michaud, professeur et directeur du nouvel Institut sur la retraite et l’épargne de HEC Montréal. On dispose bien sûr des données agrégées sur les principales variables démographiques, financières ou autres, mais on peut rapidement se retrouver en plein brouillard lorsqu’on veut savoir comment cela s’incarne concrètement pour les individus, rapporte-t-il.
« C’est un gros problème parce qu’il y a des différences de plus en plus grandes dans ce domaine entre les parcours des gens. Si vous me demandez si les Québécois sont bien préparés pour leur retraite, je serais obligé de vous répondre que cela dépend probablement des cas, mais qu’on ne sait pas vraiment. »
Dans certains cas, l’information manquante n’est tout simplement pas collectée, comme c’est le cas pour la nature et l’ampleur du patrimoine accumulé par les ménages. Les gouvernements connaissent nos revenus parce qu’ils sont taxés, note l’économiste, mais ne connaissent pas la valeur de nos actifs financiers et immobiliers, parce qu’on n’a pas d’impôt sur les richesses ou les successions comme dans d’autres pays. D’autres fois, les informations ont été amassées, mais sont inexploitables parce qu’elles restent emprisonnées dans des silos.
Opinions contre faits
Ce phénomène n’est pas une fatalité, mais le reflet de l’importance que les pouvoirs publics accordent à la question, ainsi que des vertus qu’on attribue à la transparence et aux faits, estime Pierre-Carl Michaud.
En matière de petite enfance, on est parvenu à briser les silos afin de suivre les parcours scolaires et socio-économiques de cohortes d’enfants, mais « le niveau de préparation des gens à la retraite n’est apparemment pas une priorité ».
Les choses lui semblent malgré tout peut-être en train de changer, notamment à Ottawa, bien qu’on reste encore à des lieux des pays d’Europe du Nord, ou même des États-Unis.
Ce retard se répercute sur la qualité des débats publics en la matière, déplore Bernard Morency, longtemps haut dirigeant à la Caisse de dépôt et placement du Québec et maintenant professeur et membre associé à l’Institut.
Il en veut pour exemple le débat au Canada qui a mené à une révision à la hausse de l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, avant de revenir à 65 ans. « Ce débat ne s’est pas appuyé sur des faits, comme au Danemark, ce qui aurait permis de mesurer l’impact sur l’épargne des gens, le moment de leur départ effectif à la retraite ou la viabilité de l’ensemble des programmes sociaux. Il s’est fait sur des opinions et des anecdotes et n’a rien réglé sur le fond. »
Il ne dirait pas la même chose de la dernière réforme du Régime de rentes du Québec (RRQ), qui a été, selon lui, « un débat très réfléchi » durant lequel les experts ont alimenté sans cesse les décideurs politiques.
L’extraterrestre québécois
Le Québec et le Canada ne font pas que de mauvais coups en matière de retraite.
Ils passent ailleurs « pour des extraterrestres » lorsqu’on les voit non seulement abaisser l’âge de la retraite, mais aussi bonifier leurs régimes publics à prestations déterminées, alors que tous les pays cherchent à passer à une formule moins contraignante à cotisations déterminées.
Cet exploit tient notamment au choix d’avoir capitalisé une bonne partie des régimes publics de retraite, c’est-à-dire d’avoir déjà mis de côté une bonne partie des montants nécessaires plutôt que de faire payer les retraites aux travailleurs actifs.
En plus d’avoir permis d’amasser et de faire fructifier des centaines de milliards qui seront bien utiles lorsque les baby-boomers seront tous arrivés à la retraite, cette approche a aussi l’avantage d’avoir forcé l’adoption d’une belle discipline dans la gestion des caisses de retraite, se félicite Bernard Morency.
Nouveau contrat social
Le Québec ne peut toutefois pas se permettre de se reposer sur ses lauriers. Le choc démographique annoncé par les experts est bien réel et ne manquera pas de mettre à dure épreuve l’économie, les finances publiques ainsi que les programmes sociaux et, par voie de conséquence, le bien-être financier des retraités.
Ce choc se produira alors que le « grand contrat social » sur lequel repose le système des retraites est de plus en plus remis en cause au Canada, dit Pierre-Carl Michaud. Basé sur la triple alliance entre les régimes publics, les caisses de retraite des employeurs et l’épargne des individus, le système voit, en effet, les employeurs se délester de plus en plus de leur responsabilité sur les travailleurs en les laissant assumer seuls la gestion, et parfois même le financement, de ce qui leur servira de caisse personnelle de retraite.
Les gouvernements sont venus compenser une partie de la perte encourue en bonifiant les régimes publics. Ils devront aussi venir en aide aux individus en améliorant leur niveau de littératie financière et en adoptant des règles qui leur simplifieront la vie dans leurs choix de retraite.
« On ne peut pas s’attendre à ce que les individus deviennent des experts en la matière, dit Bernard Morency. Avez-vous seulement essayé de comparer toutes les voies possibles avec le Régime de rentes ? Bonne chance ! Ça peut devenir très compliqué. Même pour moi, qui ai passé toute ma vie là-dedans. »
Toutes ces actions nécessiteront une compréhension fine de la réalité changeante du travail et de la retraite, martèle Pierre-Carl Michaud. Une compréhension qui ne pourra se construire que sur l’accès à des données fiables et leur utilisation. « C’est à cela que notre Institut espère pouvoir contribuer. »