Cinq ans après la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh, le cri pour la justice des survivants

Lorsque le bâtiment de huit étages s’est affaissé comme un château de cartes, Nilufer Begum, une ouvrière de 38 ans, a passé une demi-journée écrasée sous trois corps et une montagne de débris.
Photo: Munir Uz Zaman Agence France-Presse Lorsque le bâtiment de huit étages s’est affaissé comme un château de cartes, Nilufer Begum, une ouvrière de 38 ans, a passé une demi-journée écrasée sous trois corps et une montagne de débris.

Comme si la souffrance endurée pendant dix heures la jambe broyée par des corps sous les décombres du Rana Plaza n’avait pas suffi, Nilufer Begum doit en plus subir, cinq ans après la tragédie, l’insoutenable attente du procès des responsables.

Le Bangladesh marque mardi le cinquième anniversaire de l’effondrement de l’atelier de confection Rana Plaza, l’une des pires catastrophes industrielles au monde. Le non-respect de normes de sécurité avait coûté la vie à plus de 1130 ouvriers et en avait blessé 2000 autres. Le drame du 24 avril 2013 a mis en lumière la face sombre de la sous-traitance des grandes marques occidentales, conséquence de la course à la diminution des coûts de production dans une économie mondialisée.

Le procès toujours pas tenu

 

Malgré l’émoi planétaire soulevé par cet accident, le procès du Rana Plaza par la justice du Bangladesh ne s’est toujours pas tenu, au désespoir de survivants brisés dans leur corps comme dans leur âme. « Je compte les heures jusqu’à ma mort. Les muscles de ma jambe s’atrophient. Mes reins lâchent », confie Nilufer Begum, 38 ans, une rescapée qui tient désormais une épicerie près des ruines de l’usine. Lorsque le bâtiment de huit étages s’est affaissé comme un château de cartes, cette ouvrière a passé une demi-journée écrasée sous trois corps et une montagne de débris. Sa jambe droite en est sortie irrémédiablement estropiée et l’oblige à se déplacer avec des béquilles.

Comme pour nombre de rescapés, les frais médicaux ont entièrement englouti son indemnité de dédommagement, d’environ 2900 euros (4500 $CAN). Passée plusieurs fois sur la table d’opération, cette femme au regard triste a dû dépenser près du double de cette somme en soins, s’endettant auprès de proches ou d’organisations caritatives. « Tant d’entre nous ont perdu des membres ou en sont sortis handicapés. Mais maintenant, tout le monde nous a oubliés, ainsi que le désastre », déplore, en pleurs, cette mère d’un garçon de 11 ans.

L’espérance de voir la condamnation des responsables du Rana Plaza est le dernier fil auquel elle s’accroche. « Aucun d’entre nous ne voulait entrer dans l’atelier ce jour-là, se remémore-t-elle. Ils nous ont forcés à travailler malgré les fissures apparues dans les piliers la veille. Cinq années se sont écoulées et personne n’a été jugé ou puni. »

La tragédie du Rana Plaza, situé en banlieue de la capitale Dacca, a provoqué un tollé international. Cette catastrophe a mis des marques américaines ou européennes de vêtements — comme Primark, Mango et Benetton — sous pression d’améliorer la paye et les conditions de travail des ouvriers du Bangladesh qui y fabriquent leurs vêtements à bas coût. Cette nation pauvre de 160 millions d’habitants est une destination phare de la sous-traitance de l’industrie textile en raison de salaires parmi les plus bas au monde, qui commencent à 65 $US par mois.

Selon des sociétés spécialisées, la sécurité des usines bangladaises s’est toutefois améliorée depuis 2013. Vingt accidents ont ainsi été signalés en 2017, chiffre le plus bas de ces dernières années.

Un groupement d’une centaine d’enseignes européennes a cependant averti que « d’importants problèmes de sécurité potentiellement mortels persistent » au sein des 4500 ateliers textiles du pays.

Si la situation évolue sur ce plan, le processus judiciaire, lui, traîne en longueur. Le propriétaire du Rana Plaza, Sohel Rana, et une quarantaine de personnes — dont des responsables de l’usine et des inspecteurs du travail — sont inculpés pour meurtre dans cette affaire. Dans une procédure distincte, Sohel Rana a été condamné en août à trois ans de prison pour n’avoir pas déclaré sa fortune personnelle à une commission anticorruption. En raison des ajournement successifs, le verdict du Rana Plaza pourrait nécessiter cinq années supplémentaires, a indiqué le parquet à l’AFP.

Pour les représentants ouvriers, la lenteur du système judiciaire contribue à « créer un climat d’impunité ». « Nous pensions que le désastre du Rana Plaza aiderait les travailleurs à se syndiquer et à manifester pour améliorer leurs conditions. Mais l’inverse s’est produit », regrette Mohammad Ibrahim, un meneur syndicaliste. Selon lui, les propriétaires d’ateliers de confection recourent à des « gros bras », à la police et au gouvernement pour écraser tout mouvement social. Les fabricants de vêtements détiennent une énorme influence au Bangladesh, où les 30 milliards de dollars d’exportations textiles représentent 80 % des exportations totales du pays.

Mohammad Ibrahim figurait parmi les 41 leaders syndicaux arrêtés en décembre 2016, lorsque des milliers d’ouvriers sont descendus dans la rue pour réclamer de meilleurs salaires. Il dit avoir été menacé de mort par la police. « Quelque 1700 employés ont été virés et aucun n’a retrouvé son travail » à la suite de cette contestation, déclare-t-il. « Les propriétaires d’usines textiles sont devenus plus puissants depuis la catastrophe. »

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