La Banque du Canada abaisse son taux à 2 %

La Banque du Canada a abaissé son taux directeur pour une troisième fois consécutive hier, de 2,25 % à 2 %, afin de mettre toutes les chances possibles du côté de l'économie canadienne en cette ère de reprise mondiale. Elle a toutefois prévenu que c'était la dernière fois.

Largement anticipée par les économistes et les cambistes, la décision de la banque centrale n'a provoqué aucun remous particulier sur les marchés boursiers ou financiers. Elle a été immédiatement suivie par une baisse équivalente du taux préférentiel des banques canadiennes de 4 % à 3,75 %.

Témoin comme tout le monde de la vigueur remarquable de la reprise économique aux États-Unis, l'institution, dirigée par le gouverneur David Dodge, n'en continue pas moins de se montrer préoccupée notamment par l'effet négatif de l'appréciation du dollar canadien sur nos exportations, ainsi que par l'ampleur des changements auxquels les entreprises du pays devront procéder pour améliorer leur productivité et rester à la page face à la concurrence étrangère.

«L'économie canadienne continue de s'ajuster à l'évolution de la conjoncture internationale, a-t-elle expliqué hier dans son communiqué officiel, notamment au raffermissement de la demande mondiale, au réalignement des monnaies (y compris du dollar canadien) ainsi qu'à la concurrence plus vive que livrent les pays à marché émergent et aux nouveaux débouchés qu'ils offrent. Ces changements exigent un déplacement de l'activité entre les secteurs et obligent de nombreuses entreprises à s'adapter.»

L'institution, qui précisera sa pensée demain avec le dévoilement d'une nouvelle version de son Rapport sur la politique monétaire, a d'autre part répété qu'elle s'attendait à ce que l'économie canadienne «tourne à nouveau près de son plein potentiel [établi à 3 %] d'ici le troisième trimestre de 2005.»

C'est la troisième fois consécutive cette année, et la cinquième fois depuis juillet 2005, que la Banque du Canada baisse ainsi son taux directeur. Ces décisions visaient à donner un peu d'air à une économie canadienne frappée récemment par moult avatars dont, la lenteur du redémarrage de son partenaire commercial américain, la brusque appréciation de plus de 20 % de sa devise, la découverte d'un cas de vache folle et l'épidémie de SRAS à Toronto.

Le taux cible du financement à un jour de la Banque du Canada avait déjà été à 2 % de la mi-janvier à la mi-avril 2002. Techniquement équivalent pour l'institution financière, à un taux d'escompte de 2,25 %, ce taux directeur n'avait pas été fixé si bas depuis septembre 1960 alors que le taux d'escompte avait été brièvement fixé à 1,93 %. Il s'approche du record historique de 1,5 % établi de février à août 1955.

Dernière baisse

La Banque du Canada a cependant laissé entendre que la baisse d'hier sera la dernière et qu'elle adoptera dorénavant un «biais neutre». «Les risques qui pèsent sur les perspectives semblent maintenant équilibrés», a-t-elle, en effet pris la peine de préciser dans son habituel style alambiqué.

«Elle nous avise qu'elle ne touchera plus à rien avant une bonne secousse», traduit Clément Gignac, stratège et économiste en chef à la Financière Banque Nationale. En fait, elle a décidé de se donner une police d'assurance supplémentaire. Elle voit la force de la reprise économique américaine, mais elle prend note de l'inquiétude de plusieurs secteurs de l'économie canadienne devant le ralliement des devises et les restructurations auxquelles elles devront procéder pour améliorer leur productivité.»

Baisse du PIB

Les dernières statistiques sur l'économie canadienne n'avaient rien de tellement réjouissant. Les grands froids du mois de janvier ont enlevé 0,1 % de taux de croissance du produit intérieur brut (PIB) par rapport au mois précédent ce qui portait son taux annualisé à 1,6 % alors que le gouvernement compte sur une croissance de 2,7 % en 2004 et 3,3 % l'année suivante. La semaine dernière, on apprenait le léger accroissement du taux de chômage de 7,4 % à 7, 5 % de janvier à février. L'inflation s'est avérée, quant à elle, quasiment nulle en février, avec un indice des prix à la consommation 0,7 % et un indice de référence de la Banque du Canada à 1,1 %, soit bien en deçà de sa cible de 2 %.

Pas étonnant que les marchés, après avoir longtemps cru que la réduction des taux d'intérêt décidée à la réunion de la Banque le 2 mars serait la dernière, se sont soudainement mis à croire à une nouvelle baisse. Pas étonnant non plus que le rétrécissement prévu de l'écart entre les taux pratiqués par la Réserve fédérale américaine (1 %) et ceux de la Banque du Canada ait fait perdre au dollar canadien juste avant le congé pascal presque un cent (0,99 ¢US) par rapport au billet vert avec une valeur à la clôture, vendredi, de 75,37 ¢US.

Quand la Fed bougera

Il faut dire que si les dernières nouvelles économiques ont plutôt été décevantes au Canada, elles ont, au contraire, déjoué les prédictions les plus optimistes aux États-Unis, note François Dupuis, chef économiste adjoint et stratège au Mouvement Desjardins. Au point même où de plus en plus de voix suggèrent que la Réserve fédérale (Fed) pourrait finalement faire remonter son propre taux directeur à son niveau le plus bas en 45 ans, 1 %.

«Normalement, elle attendrait la tenue des élections présidentielles avant de procéder à ce genre de changement pour ne pas avoir l'air d'influer sur le résultat du vote, rappelle François Dupuis. Mais s'il en va de sa crédibilité, elle n'hésitera pas à bouger plus tôt.»

Le dévoilement, aujourd'hui, de l'indice américain des prix à la consommation sera un bon indice des politiques à venir, dit-il. «S'il s'approche trop vite de la cible de 2 %, ou s'il le dépasse, la Fed pourrait bien être forcée d'agir.»

La Banque du Canada, quant à elle, ne fera rien, selon lui, «avant la fin de l'année ou le début de 2005. Rien en tout cas avant la Fed.»

La prochaine réunion de la Fed doit se tenir le 4 mai alors que celle de la Banque du Canada ira au 8 juin.

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