Cintas poursuit un de ses actionnaires
New York — Les assemblées annuelles sont habituellement le forum où les actionnaires de compagnies cotées en Bourse peuvent donner leur opinion, sans crainte de représailles.
Or, au moment où les investisseurs américains s'activent pour jouer de leur influence à la suite des grands scandales financiers, une récente poursuite montre que certaines compagnies peuvent s'en prendre à des actionnaires qui les ont critiquées.Fin janvier, le fournisseur d'uniformes Cintas, basé à Cincinnati, a intenté une poursuite civile contre Timothy Smith, un dirigeant du fonds d'investissement Walden Asset Management, pour des propos qui auraient été diffamatoires tenus lors de l'assemblée annuelle, en octobre.
Dans sa plainte déposée en cour fédérale à Cincinnati, Cintas estime que M. Smith a diffamé l'entreprise en la reliant à un atelier de misère (sweatshop) en Haïti. Le dirigeant de Walden Asset exhortait les actionnaires à adopter une résolution demandant à la direction d'évaluer l'efficacité du code d'éthique de Cintas ainsi que la conformité à ce code des ateliers et autres partenaires de son réseau.
Timothy Smith n'a pas commenté l'affaire mais l'organisme Domini Social Investment, basé au Rhode Island et qui appuyait sa résolution, souligne que Cintas avait ignoré plusieurs demandes de débattre de la question avant la tenue de l'assemblée.
Outre des dommages d'au moins 75 000 $US, Cintas demande au tribunal d'interdire à M. Smith de faire d'autres références aux ateliers de misère concernant le fournisseur d'uniformes.
Le litige soulève maintenant plus d'intérêt, en ce début de saison printanière des assemblées d'actionnaires. Que la cour fédérale donne raison ou non à Cintas, l'inquiétude apparaît que la simple menace de poursuites civiles dissuade des actionnaires de dire franchement leur opinion et de s'impliquer au-delà de la simple perception des dividendes.
«Nous avons le droit de mettre en doute les choix de la direction et nous avons ici une tactique d'intimidation», estime Joanne Dowdell, de l'organisme Citizen Advisers, basé au New Hampshire. Ce genre de poursuite pourrait «influencer l'atmosphère lors des assemblées d'actionnaires en restreignant l'échange de commentaires entre participants», ajoute-t-elle.
Un organisme tripartite, le Council of Institutional Investors (CII), de Washington, où sont représentées des caisses de retraites des secteurs privé et public ainsi que des caisses syndicales, croit que les directions d'entreprise ont certes le droit de poursuivre des actionnaires.
Mais puisque ceux-ci «n'ont le droit de s'exprimer en présence de la direction qu'une fois par année, le recours aux tribunaux pour les faire tenir tranquilles durant les assemblées est particulièrement inquiétant», remarque Sarah Teslik, directrice du CII.
Par ailleurs, le risque de poursuites en dommages avait été évoqué aux États-Unis au sujet du téléchargement de musique par Internet. Les défenseurs de la libre circulation des idées et des contenus ont fait valoir que les gens critiquant n'importe quelle sorte de compagnie ou régime politique seraient des cibles potentielles si jamais les détaillants en services Internet étaient forcés de dénoncer tel ou tel abonné.