Marchés boursiers: l’impact des algorithmes sous les projecteurs

Quand le géant bancaire JP Morgan a révélé l’été dernier qu’il avait commencé à confier à un robot la responsabilité d’exécuter des transactions, personne ne s’est étonné. Après tout, l’informatique et la finance font depuis longtemps route commune. Mais le robot est capable, seul, de tirer des leçons à partir des transactions effectuées dans le passé, même de celles qu’il n’a pas faites lui-même.
L’univers boursier n’en est pas à sa première secousse. L’installation de câbles sous-marins a permis à Paul Reuter d’arrêter l’usage de pigeons pour transmettre l’information financière entre la Grande-Bretagne et le continent européen. L’arrivée de l’ordinateur a réduit à néant le travail des téléphonistes sur le parquet. Cette semaine, la chute libre observée lundi après-midi autour de 15 h a encore soulevé la question, la même : quelle place occupe la technologie ?
« De 80 à 90 % des transactions exécutées sont faites à partir de stratégies algorithmiques », dit Étienne Dubuc, directeur principal du groupe des produits dérivés et actions à la Financière Banque Nationale. « Parce que les négociateurs humains utilisent ces stratégies-là, qui sont assez simples, pour surveiller toutes sortes de choses en même temps, pour effectuer leur travail de façon plus productive. »
Ces algorithmes sont des outils, dit M. Dubuc. Ils sont contrôlés par des êtres humains, mais ce sont eux qui prennent des décisions consistant à acheter ou à vendre, selon des paramètres préétablis. « Ça fonctionne bien quand les marchés sont normaux. » Cela dit, ils sont aussi programmés pour « détecter des choses inhabituelles », dit-il. Bref, pour offrir un feedback. À ce moment-là, l’algorithme s’affaire à réduire son exposition à la situation, « à réduire le risque aussi ».
Résultat : la liquidité des marchés, c’est-à-dire l’abondance de vendeurs et d’acheteurs capables de négocier aisément, « a tendance à disparaître très rapidement maintenant ». « C’est là qu’il peut y avoir un feedback qui peut s’avérer dangereux quand il y a des situations de hausse de volatilité soudaine », dit Étienne Dubuc.
Chute libre
Les experts ne s’entendent pas sur ce qui a pu, en si peu de temps, déclencher lundi une avalanche de ventes aussi forte. Contrairement au S P et à ses 500 sociétés, le Dow Jones est un indice de 30 compagnies que personne ne perçoit sérieusement comme un baromètre. Il est vrai que la baisse avait commencé vendredi et que certains prédisent depuis longtemps une correction boursière. Depuis le temps que les marchés grimpent sans aucune volatilité… Quand même, la perte de 700 points qu’il affichait à 14 h 57, lundi après-midi est devenue 13 minutes plus tard un gouffre de 1500 points, soit -6 %.
Il n’en fallait pas plus pour lancer la chasse au coupable. Tous se sont souvenus de la chute éclair de 2010. On avait fini par identifier un courtier de Londres et ses combines de spoofing, une manoeuvre illégale consistant à passer des commandes puis à les annuler avant leur exécution. Cette fois-ci, plusieurs se sont demandé si les produits sophistiqués liés à l’évolution du VIX, un indice qui mesure la volatilité du marché, étaient responsables.
Quoi qu’il en soit, le mariage de la finance et de la technologie est un secteur qui retient l’attention. « L’impact des algorithmes sur la qualité des marchés [liquidité, efficacité, etc.] est un des domaines les plus étudiés en finance », dit Gabriel Yergeau, stagiaire postdoctoral IVADO-Banque Nationale et spécialiste en la matière. Il a été démontré, dit-il, que les algorithmes ont un effet bénéfique. « Cela dit, un événement comme celui de lundi devrait inciter les opérateurs de ces algorithmes à regarder un peu comment leur algorithme s’est comporté. »
Faire la part des choses
Il faut faire une distinction, prévient M. Yergeau, qui a déjà été négociateur indépendant sur le parquet de la Bourse de Montréal : il y a les algorithmes à haute vitesse, qui ont tendance à faire l’objet d’une couverture médiatique négative, et ceux qui permettent à un investisseur institutionnel (caisses de retraite, banques, etc.) de tout simplement gérer ses affaires, par exemple les positions qu’il détient sur le marché. « Les institutionnels ont des objectifs différents de ceux des négociateurs à haute fréquence, mais ils ont une influence énorme sur le marché. »
Le niveau de volatilité observé lundi a explosé, ni plus ni moins. L’indice VIX, baptisé « indice de la peur » en raison de sa mesure de la volatilité à court terme, a augmenté de 115 % en quelques heures. Malgré la frénésie, les coupe-circuit, des instruments mis en place après la chute d’octobre 1987, n’ont pas été actionnés. Les seuils n’ont pas été atteints. Le niveau 1, par exemple, prévoit qu’une baisse de plus de 7 % du S P 500 déclencherait la suspension des négociations pendant 15 minutes, non seulement pour les compagnies de cet indice, mais pour celles du Dow Jones.
C’est dans cet esprit que les ordinateurs qui mettent en oeuvre les algorithmes sont eux aussi programmés pour poser certains gestes dans des situations « hors normes », dit M. Yergeau. « C’est comme ce qu’un négociateur humain devrait avoir, un plan de match complet, en toutes circonstances. » Les algorithmes ont-ils mauvaise presse ? « Oui, par exemple ceux à haute vitesse. Mais si vous regardez ce qui se passe avec l’intelligence artificielle, il y a un engouement. »