Portrait - Bâtir une nation

En 1974, les neuf communautés cries du Nord québécois créaient le Grand conseil des Cris pour unir leurs forces. Dès l'année suivante, les Cris signaient la Convention de la Baie-James à titre de bandes individuelles et en tant que nation crie. En 1976, ils fondaient leur première véritable entreprise industrielle, la Compagnie de construction et de développement crie ltée (CCDC).

Si, comme tous les autres autochtones, les Cris ont beaucoup parlé de droits ancestraux, de chasse et de pêche dans les difficiles négociations avec les gouvernements, ils ont eu tôt fait, une fois la convention signée et l'assurance qu'il y aurait des compensations financières, de manifester leur intérêt pour le développement économique et d'accorder «la priorité à l'essentiel», comme le précise William MacLeod, l'actuel président de la compagnie de construction et l'un des principaux leaders cris en matière de développement économique. Cette entreprise fut la première de plusieurs autres compagnies que les Cris allaient mettre sur pied dans les années subséquentes.

Progression importante

Les activités de la CCDC généreront cette année des revenus de 100 millions. La progression depuis cinq ans est importante puisque le chiffre d'affaires n'était au début que de 40 millions. C'est là l'un des résultats de la Paix des braves, qui a entraîné plus de travaux pour cette entreprise, dont les profits retournent à ses actionnaires, les Cris. En revanche, la CCDC ne vit que de la réussite des contrats qu'elle obtient et la rentabilité fait obligatoirement partie de sa mission.

Son plus récent plan stratégique prévoit des revenus annuels de 100 millions pour les trois prochaines années. Cependant, à long terme, les perspectives de croissance sont plus larges, constate M. MacLeod. La population crie est jeune et augmente rapidement. L'entreprise entend participer aux importants projets de développement mis en avant par Hydro-Québec ainsi que par ses filiales, la Société de développement de la Baie-James et la Société d'énergie de la Baie-James, sans oublier évidemment les communautés cries elles-mêmes, qui ont des besoins considérables, notamment dans les domaines de l'habitation et des infrastructures.

Les débuts de la CCDC en 1976 furent naturellement modestes. La mise de fonds initiale, puisée à même les 139 millions provenant de la Convention, ne fut que de cinq millions, ce qui était quand même un investissement très important pour les Cris. L'entreprise a commencé ses activités avec des travaux simples, tels que des contrats de déboisement obtenus d'Hydro-Québec. Les communautés cries, qui elles-mêmes bénéficiaient des retombées de la Convention de la Baie-James et de programmes gouvernementaux, ont apporté de l'eau au moulin de la CCDC en lui accordant des contrats pour une multitude de travaux. Mais essentiellement, la compagnie a suivi le développement hydroélectrique, bien sûr à la Baie-James mais aussi dans d'autres régions du Québec.

Depuis 28 ans qu'elle existe, cette entreprise a pu faire sa place également dans d'autres activités et auprès d'autres clientèles, même à Montréal. Elle construit des routes, des digues, des infrastructures d'aqueduc, d'égouts, des écoles, des arénas, des campements de travailleurs, et elle a développé une filiale qui se spécialise dans l'alimentation et la conciergerie, des services qu'elle offre en sous-traitance à Hydro-Québec sur les chantiers grands et petits, de la Baie-James jusqu'à la Côte-Nord. Elle offre en outre son expertise un peu partout au Canada à d'autres communautés autochtones. Au fait, la CCDC fut la première entreprise autochtone au Canada à obtenir la certification ISO.

Intégration des Cris

Dans les périodes de construction les plus actives, cette compagnie peut avoir jusqu'à 700 employés, dont 55 % sont des Cris. L'intégration des Cris dans tous ces emplois non traditionnels semble être un défi majeur pour les communautés concernées dans les années à venir. Pour l'instant, il y a une soixantaine d'employés (blancs et autochtones) dans des bureaux administratifs et ateliers à Mistissini, Chisasibi, Nemiscau, Eastmain et Laval, où est situé son principal bureau administratif. Pourquoi à Laval plutôt qu'ailleurs dans le Grand Nord? Parce que c'est à Montréal que se trouvent les principaux clients et fournisseurs et aussi pour avoir plus facilement accès à du personnel spécialisé. Le bureau de Laval compte 30 employés. Sur les 700 employés au total, il y en a 325 qui relèvent de Gestion ADC, la filiale d'alimentation et de conciergerie. Son personnel est parsemé dans 16 endroits différents au Québec.

Parmi ses réalisations les plus importantes, il y a eu certainement celle d'avoir conçu et construit la route du Nord, longue de 214 kilomètres, entre Chibougamau et Nemiscau, en vertu d'un contrat de 75 millions donné par le ministère des Transports du Québec. Dans le cadre des travaux à EM-1 sur la rivière Eastmain, la compagnie a obtenu un contrat sur deux ans pour la construction d'une digue, qui fait suite à un autre contrat de construction de route de 40 millions. Il y a eu par ailleurs un contrat de 15 millions donné par Hydro-Québec à Sept-Îles pour des travaux d'excavation à la sous-station de SM-3 et pour divers autres travaux de construction et d'injection de béton dans des tunnels. Le port de Montréal lui a accordé un contrat de neuf millions pour la démolition de fondations et de remise en état des terrains.

La CCDC participe également à plusieurs entreprises conjointes avec des communautés cries dans des projets de logements, d'égouts et d'aqueduc, de construction d'édifices publics et de pistes d'atterrissage. C'est par la participation à des entreprises conjointes que la CCDC a obtenu des contrats de déneigement de 1000 kilomètres de route.

L'ensemble de ces activités entraîne par ailleurs des retombées substantielles, d'abord chez les Cris et ensuite dans les régions avoisinantes. En 2002-03, les coûts pour les achats de services et de produits ont été de 14 millions dans les communautés cries et de 9,4 millions en Abitibi-Témiscamingue.

Pour l'avenir, outre sa participation aux travaux hydroélectriques, l'entreprise a l'oeil sur plusieurs autres champs d'activité dont elle pourrait tirer profit, comme le développement des industries minières et touristiques.

La CCDC est chapeautée par un conseil d'administration dont les membres sont nommés par une société mère qui englobe toutes les activités économiques des Cris. Mais il n'y a aucun chef de bande parmi ces administrateurs. Les Cris, semble-t-il, trouvent important de maintenir une séparation entre le pouvoir politique et le pouvoir économique.

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