La couleur de l'argent

Des femmes lavent leur linge dans un cours d’eau. L’Afrique du Sud reste l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde et, à de nombreux égards, ces inégalités se perpétuent selon des critères raciaux.
Photo: Agence Reuters Des femmes lavent leur linge dans un cours d’eau. L’Afrique du Sud reste l’une des sociétés les plus inégalitaires du monde et, à de nombreux égards, ces inégalités se perpétuent selon des critères raciaux.

Johannesburg — L'intégration économique des Noirs sud-africains reste un chantier politique inachevé, malgré l'émergence d'une élite et d'une classe moyenne noires en dix ans de gouvernement ANC et des mesures énergiques pour rectifier des décennies de marginalisation systématique.

L'Afrique du Sud reste l'une des sociétés les plus inégalitaires du monde et, à de nombreux égards, ces inégalités se perpétuent selon des critères raciaux, rappellent Chris Landsberg et Shan Mackay, du Centre d'études politiques.

Depuis son arrivée au pouvoir en 1994, le Congrès national africain (ANC) a multiplié les initiatives pour améliorer le sort de millions de Noirs et tenter de combler le fossé entre «la première» et «la deuxième» économie, dans un pays où plus de 31 % de la population active est au chômage.

Le Black Economic Empowerment (BEE), ou Émancipation économique des Noirs, est le grand chantier en cours, le pendant et l'approfondissement, au niveau macro-économique, de la discrimination corrective à l'emploi instituée par une législation de 1998.

Le BEE, selon le gouvernement, vise à «accélérer la déracialisation de l'économie sud-africaine et favoriser le retour de communautés historiquement marginalisées au coeur de l'économie», des conseils d'administration, des centres financiers de décision.

Pour une application effective du BEE, des chartes sont négociées par secteur d'activité. Deux chartes ont été signées — dans le domaine minier, prévoyant 26 % de capitaux aux mains de Noirs d'ici 10 ans, et dans le domaine financier, visant 10 % de capitaux noirs d'ici 2008. Elles fonctionnent sur un mécanisme complexe de points liés à des critères tels que le recrutement, le choix des fournisseurs ou encore à la répartition du capital, qui vise à susciter un cercle vertueux de l'intégration économique des Noirs.

Plus une société a une «note BEE» élevée, plus d'autres sociétés auront intérêt à travailler avec elle pour augmenter leur propre note. À l'inverse, rester à l'écart du processus en cours apparaît aujourd'hui suicidaire économiquement, car synonyme d'isolement progressif.

Des détracteurs

Mais le BEE est loin de faire l'unanimité. Selon ses détracteurs, il ne profiterait, sous sa forme actuelle, qu'à une poignée de dirigeants noirs proches du pouvoir et n'aurait qu'un impact marginal sur les millions de Noirs cantonnés dans la «deuxième économie».

De nombreux observateurs s'inquiètent aussi de la dimension capitalistique du programme qui prévoit le passage sous contrôle de groupes estampillés BEE — à capitaux majoritairement noirs — de pans entiers de l'économie sud-africaine. Le financement de cette transformation à marche forcée implique un endettement fort qui expose les banques — «contraintes» de s'engager dans ces transactions BEE — à des risques importants.

Fin 2003, le géant pétrochimique sud-africain Sasol a créé la polémique pour avoir, dans un document remis aux autorités boursières américaines, souligné les facteurs de risque liés au BEE. Le géant industriel Barloworld a dénoncé lui aussi un «impact négatif du BEE sur la productivité, sur les coûts et, par conséquent, sur la compétitivité et la profitabilité des entreprises».

Le chef de l'État Thabo Mbeki a personnellement réagi, défendant pied à pied la nécessité et l'efficacité des politiques en place, accusant Sasol de «dire du mal» de l'Afrique du Sud à l'étranger.

«La transformation [économique et sociale] est devenue l'un des sujets de discorde les plus sensibles de notre société», soulignait récemment Frederik de Klerk, dernier président blanc du pays. «Les minorités la perçoivent souvent comme une nouvelle forme de discrimination raciale. Les Noirs rejettent cette analyse et voient le processus en cours comme l'indispensable correction des injustices du passé», expliquait-il, appelant à des «négociations globales» sur le sujet, à l'instar des négociations politiques de la transition.

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