Prévisions économiques du printemps - L'Europe revient à l'ère des déficits

Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, l’Espagnol Pedro Solbes: «Il ne peut y avoir de croissance sans finances publiques saines.»
Photo: Agence Reuters Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, l’Espagnol Pedro Solbes: «Il ne peut y avoir de croissance sans finances publiques saines.»

Bruxelles — La dégradation généralisée des déficits publics dans la zone euro cache mal l'isolement croissant de la France et de l'Italie sur le banc des pays accusés de manquer de volonté dans l'assainissement budgétaire.

Les prévisions économiques du printemps présentées hier par la Commission européenne sont riches d'enseignements au moment où certains grands pays se concertent pour s'affranchir des règles de discipline budgétaire de la monnaie unique. Le tableau n'est guère brillant malgré le retour d'une croissance économique d'abord molle en 2004 — 1,7 % du PIB dans la zone euro — qui s'accélérera en 2005, à 2,3 %.

Sur les 12 pays de la zone, seules la Finlande et l'Espagne enregistreront en 2004 et 2005 des excédents budgétaires, alors qu'il y avait six pays dans ce cas en 2000.

Le commissaire européen aux Affaires économiques et monétaires, l'Espagnol Pedro Solbes, dont c'était la dernière apparition à ce poste, prendra donc en mains les finances d'un pays assaini qui jouira d'une croissance de 2,8 % en 2004.

Mais six pays — France, Italie, Portugal, Pays-Bas, Allemagne et Grèce — risquent en 2004 de voir leur déficit public dépasser la limite de 3 % du PIB et les quatre premiers pourraient rechuter une nouvelle fois en 2005. Même le Royaume-Uni, pays extérieur à la zone euro, a dépassé la norme en 2003, avec un déficit de 2,3 % du PIB.

Des mesures

Est-ce à dire que tout le monde, ou presque, est dans le même bateau et que, comme le propose le ministre italien des Finances Giulio Tremonti, il faut réfléchir à de nouvelles règles donnant plus de liberté aux membres de l'euro? «Les situations budgétaires sont contrastées», a répliqué la Commission européenne en soulignant que la réduction des déficits s'imposait pour sortir l'UE de la morosité économique.

«Il ne peut y avoir de croissance sans finances publiques saines», a dit Solbes. «Un jour ou l'autre, il faudra payer. Les gouvernements ne devraient pas accumuler des dettes trop importantes, ce n'est pas bon pour les générations futures.»

Ainsi, si la commission a annoncé qu'elle allait établir des rapports sur l'«existence d'un déficit excessif» à l'encontre des Pays-Bas et du Royaume-Uni, elle a immédiatement ajouté que la procédure s'arrêterait là pour ces deux pays. La forte croissance britannique permettra de corriger le tir dès 2004 et les Pays-Bas, dont la situation s'est dégradée en raison d'une chute de la croissance, ont adopté un programme d'austérité d'une férocité impensable dans nombre de pays.

Au prix d'une cure d'amaigrissement très dure, le Portugal est repassé sous la barre des 3 % en 2003 et Solbes dit avoir obtenu de Lisbonne l'assurance que toutes les mesures seraient prises pour que son déficit ne replonge pas en 2004 et 2005.

Enfin, l'Allemagne, compagne d'infortune de la France, quittera le banc d'infamie en 2005 grâce au programme de réformes mis en oeuvre et en dépit d'une croissance médiocre. «L'Allemagne va mieux», a décrété le commissaire, qui prévoit désormais que Berlin respectera son engagement de novembre de revenir sous les 3 % en 2005.

Isolées

L'Italie et la France se trouvent donc isolées en compagnie de la Grèce dont les chiffres — un déficit de 3 % en 2003 — suscitent de tels doutes à Bruxelles que la commission a décidé d'y envoyer une mission d'enquête fin avril.

«La situation de l'Italie mérite notre attention», a dit Pedro Solbes en annonçant l'envoi d'un «avertissement» à Rome, dont le déficit public atteindrait 3,2 % en 2004 et 4 % en 2005. L'Italie n'est restée sous la barre des 3 % en 2003 que grâce à des mesures ponctuelles, comme l'amnistie fiscale, qui a représenté 2 % du PIB l'an dernier et 1 % cette année.

La réduction de son énorme dette publique — 106 % du PIB, plus d'un an de production nationale — s'est arrêtée alors qu'elle avait diminué dans les premières années de l'introduction de l'euro, qui a fait baisser les taux d'intérêt.

Reste la France, qui obtient le bénéfice du doute. Selon la commission, la France, après avoir enregistré un déficit de 4,1 % en 2003, risque de rester au-dessus de la limite en 2004 (3,7 %) et 2005 (3,6 %), contrairement à ses engagements. «Cette prévision [pour 2005] n'incorpore pas l'impact potentiel positif de la réforme du système d'assurance-santé qui est actuellement conçu», ajoute-t-elle toutefois.

Le nouveau gouvernement français a assuré que cette réforme, qui devrait permettre une réduction d'un point de PIB, entrerait en vigueur le 1er janvier 2005, ce qui permettrait à la France de tenir son engagement de revenir sous les 3 % l'an prochain.

Visiblement, Pedro Solbes se pose des questions. «La situation nous préoccupe pour 2005», a-t-il dit en rappelant le «comportement français» dans le passé, tout en ayant pris note que «Nicolas Sarkozy a dit qu'il ferait tout son possible pour revenir sous les 3 % en 2005». Il n'a pas caché quel serait son conseil à son successeur. «Si jamais la France se trouve au-dessus de 3 % l'année prochaine, il est clair que sur la base du pacte et de la décision que les ministres des Finances ont adoptée le 25 novembre, la Commission devra agir.»

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