Mauvaises nouvelles sur le front de la bataille contre les inégalités

Deux femmes passent devant un mendiant sur Madison Avenue à New York. Aux États-Unis, les seuls à s'être remis complètement de la terrible crise et à avoir même amélioré leur sort sont les ménages de revenus supérieurs. 
Photo: Spencer Platt Getty Images Agence France-Presse Deux femmes passent devant un mendiant sur Madison Avenue à New York. Aux États-Unis, les seuls à s'être remis complètement de la terrible crise et à avoir même amélioré leur sort sont les ménages de revenus supérieurs. 

Bien que largement répandu, l’accroissement des inégalités économiques n’est pas une fatalité. Particulièrement marquées aux États-Unis, ces inégalités y seraient même en voie de se réduire entre les moins riches, mais cette fois pour les mauvaises raisons.

Une vaste étude sur la montée des inégalités dans le monde est venue s’ajouter à toutes les autres jeudi. Résultat du travail d’une centaine de chercheurs de 70 pays dont les efforts ont été coordonnés par des sommités en la matière, telles que Thomas Piketty, Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, le Rapport sur les inégalités mondiales 2018 apporte comme principale innovation le fait de se baser sur le croisement de 175 millions de données tirées de documents fiscaux, d’enquêtes auprès des ménages, d’informations sur les successions et les avoirs offshore, de classements sur les grandes fortunes et de bien d’autres sources encore. Bien que ses principales conclusions ne soient pas tellement surprenantes pour quiconque s’est tenu un tant soit peu informé sur la question, il contribue à dresser un portrait d’ensemble et permet aux plus curieux d’aller explorer sa fabuleuse banque de données.

On y constate entre autres qu’après un recul constant depuis le début du siècle dernier, la part des plus riches dans le revenu national a rebondi autour des années 1980 et est retourné depuis à son niveau des années 1940. La part du revenu national avant impôt des 10 % les plus riches serait ainsi passée, de 1980 à aujourd’hui, de 34 % à 47 % aux États-Unis, de 27 % à 41 % en Chine, mais seulement de 33 % à 37 % en Europe de l’Ouest.

Basées sur des mesures s’arrêtant en 2010 et ne permettant pas de voir l’impact des politiques de répartition de la richesse, les données citées sur le Canada sont difficiles à comparer. Avant impôt, il semble se situer quelque part entre les États-Unis et l’Europe.

À l’échelle de la planète, les personnes les plus riches ressortent comme les principales gagnantes de la croissance des 35 dernières années. Les populations des pays pauvres ont aussi, mais dans une moindre mesure, amélioré leurs revenus à la faveur notamment du spectaculaire essor de pays comme la Chine ou l’Inde. Quant à la grande majorité de la population des pays riches, elle n’a pas tort si elle a l’impression d’avoir surtout fait du surplace.

En matière de richesse accumulée, on a assisté à un renversement complet de la situation aux États-Unis, alors que la part détenue par le 1 % des plus riches doublait de 10 à 20 % pendant que celle de la moitié de la population la plus pauvre faisait presque exactement le chemin inverse, dégringolant de 20 % à 13 %. En Europe de l’Ouest, les deux groupes ont généralement gardé leurs positions, la moitié des plus pauvres ne perdant qu’un peu de terrain, en passant de 24 % à 22 % de la richesse accumulée totale, alors que le 1 % des plus riches ne réalisait qu’un petit gain (de 10 % à 12 %).

Pas une fatalité

 

À ce rythme, la « classe moyenne mondiale » continuera de s’atrophier, préviennent les auteurs du rapport, mais ce n’est pas une fatalité. Selon eux, les différences de trajectoires, notamment entre Européens et Américains, montrent « que les politiques publiques ont un fort impact sur les inégalités », la dérive aux États-Unis étant au moins partiellement le résultat d’une « fiscalité de moins en moins progressive » et d’une « inégalité considérable en matière d’accès à l’éducation ».

Pour améliorer les revenus de tous, on recommande d’investir dans l’éducation, la santé et l’environnement. Il faudrait aussi établir « des salaires minimums corrects » et encourager « une meilleure représentation des travailleurs dans les organes de direction des entreprises ». Pour réduire l’accumulation excessive de richesse, il faudrait taxer davantage les hauts revenus et les successions ainsi que créer un « registre mondial des titres financiers » qui aiderait à suivre à la trace les tentatives de transfert d’avoirs vers des paradis fiscaux.

Sur la mauvaise voie

 

Les États-Unis semblent loin de vouloir emprunter cette voie. Selon les analyses indépendantes, l’ambitieuse réforme fiscale en cours d’adoption au Congrès américain aura pour principal effet de réduire les impôts des plus riches et des entreprises en plus d’ajouter à la dette 1000 milliards en dix ans à moins de sabrer les dépenses publiques.

Une étude du Pew Research Center jetait le mois dernier un éclairage intéressant sur le creusement des inégalités de richesse depuis la Grande Récession il y a dix ans. On y rapportait que les seuls à s’être remis complètement de la terrible crise et à avoir même amélioré leur sort sont les ménages de revenus supérieurs, avec des avoirs nets médians de 811 000 $ en dollars de 2016 contre 740 000 $ en 2007. Les ménages de revenus moyens (110 000 $ en 2016 contre 163 000 $ en 2007) et de faibles revenus (10 800 $ aujourd’hui contre 18 500 $ avant la crise) n’ont toujours pas fini, quant à eux, d’éponger leurs pertes.

Les inégalités de richesse n’augmenteraient toutefois pas partout aux États-Unis, disaient les chercheurs. Elles se seraient notamment réduites au sein des ménages les plus pauvres. En 2007, les Blancs les plus pauvres disposaient de cinq fois plus d’actifs nets (42 700 $) que les ménages hispaniques (8400 $) et de dix fois plus de richesse que les Noirs (4300 $). Aujourd’hui, ces écarts ont fondu de moitié. Malheureusement pas parce que les ménages appartenant aux minorités visibles ont tellement amélioré leur sort, mais parce que durant la crise les Blancs ont vu leurs avoirs fondre de moitié et que rien n’a véritablement changé depuis.

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