La réforme manquée de Bill Morneau

Bill Morneau sort affaibli de l’exercice. D’autant qu’il est surprenant que le ministre fédéral des Finances ait sous-estimé les dommages collatéraux d’une réforme fiscale qu’il voulait majeure et ciblée. Il est contraint à une version lénifiée qui, elle, atteint mieux l’objectif.
En lançant la période de consultation le 18 juillet, Bill Morneau ne s’attendait pas à créer autant de confusion et de frustration chez les fiscalistes et les conseillers financiers, mais aussi chez les professionnels, les propriétaires de PME et les fermiers. Déjà, une consultation publique de seulement 75 jours, prévue au coeur de l’été, sur un aussi vaste chantier, sonnait faux. Fausse, aussi, était la cible des ménages visés, soit les quelque 50 000 composant le 1 % de la pyramide canadienne. Il appert que plus de 20 000 mémoires ont été déposés, tous dénonciateurs sauf exception.
L’intention initiale, au nom de la défense de la progressivité, était bonne. D’autant que le concept d’incorporation des professionnels introduit par Ottawa connaissait de sérieux dérapages sous la prolifération des sociétés privées. D’autant, aussi, que le mécanisme de fractionnement du revenu, si cher au gouvernement Harper, était devenu inéquitable et source de creusement des inégalités. Il disait avoir dans sa mire les riches professionnels incorporés versant de généreux dividendes à leurs enfants ou encore l’évitement fiscal permis par ces placements passifs concentrés entre les mains d’une poignée de sociétés privées. Mais il tirait dans toutes les directions.
Le ministre Morneau a multiplié les reculs depuis. Il a fait volte-face sur l’exonération cumulative du gain en capital. Puis sur la transformation du revenu sous forme de dividende en gain en capital. Il retient une formule adoucie du fractionnement du revenu avec un critère, subjectif, de raisonnabilité et la notion d’heures travaillées, ces nouvelles règles pour le 1er janvier prochain n’ayant été précisées que mercredi. Et il fixe un plafond aux placements passifs permis, à hauteur d’un revenu de placement de 50 000 $, ce qui, à un taux de rendement de 5 %, permet de laisser dormir des liquidités de 1 million, pour reprendre l’illustration officielle.
Pour dorer la pilule, le taux d’imposition des PME passera de 11 à 10 % en 2018, pour atteindre 9 % en janvier 2019. Un petit clin d’oeil à l’argumentaire d’Ottawa qui, pourtant, parle d’un écart croissant du taux d’imposition entre le particulier à taux le plus élevé et celui des PME venant favoriser le recours à des sociétés privées à des fins de planification fiscale.
En résumé, voilà un bref et sinueux parcours pour accoucher de deux mesures dont l’impact est, certes, mieux dirigé vers la cible. Mais une « réforme » qui alourdit la relation avec l’Agence de revenu du Canada, avec contraintes administratives accrues et fardeau de la preuve ou de démonstration imposé à l’ensemble des sociétés privées.