La Banque du Canada n'est pas pressée d'augmenter les taux d’intérêt

L’institution dirigée par le gouverneur Stephen Poloz prévoit pourtant que la croissance économique canadienne restera supérieure à son rythme normal jusqu’à la fin de l’année.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir L’institution dirigée par le gouverneur Stephen Poloz prévoit pourtant que la croissance économique canadienne restera supérieure à son rythme normal jusqu’à la fin de l’année.

La Banque du Canada n’a pas l’intention d’augmenter les taux d’intérêt tout de suite en dépit de la baisse record du taux de chômage et d’une inflation plus élevée que prévu, préférant rester prudente, notamment face à « l’incertitude considérable » entourant les enjeux commerciaux comme la renégociation de l’ALENA.

Comme attendu, la banque centrale canadienne a laissé son taux directeur à 1 % mercredi. C’est la deuxième fois consécutive qu’elle laisse inchangé son principal outil d’intervention monétaire depuis deux hausses de 0,25 point de pourcentage chacune en juillet et en septembre.

L’institution dirigée par le gouverneur Stephen Poloz prévoit pourtant que la croissance économique canadienne restera supérieure à son rythme normal jusqu’à la fin de l’année. Dans son communiqué, elle note aussi que « la croissance de l’emploi a été très forte et [que] les salaires ont connu une certaine amélioration, ce qui a soutenu la robustesse des dépenses de consommation ». Au même moment, les entreprises poursuivent leurs investissements et l’effet des programmes de dépenses publiques en infrastructures du gouvernement fédéral commence à se faire sentir.

Il est vrai que les exportations ont récemment « baissé plus qu’escompté » après avoir « affiché une croissance exceptionnellement vive plus tôt dans l’année », mais elles devraient, dit-on, rebondir avec le raffermissement de la demande étrangère. Quant au secteur du logement, il continue de se modérer comme prévu.

Pas étonnant dans ce contexte que l’inflation soit un peu plus élevée, à 1,4 % en octobre, que ne l’avait anticipé à pareille date la Banque du Canada, dont la mission première est de maintenir l’augmentation annuelle du coût de la vie aux alentours de 2 %. Cette plus grande vigueur de l’inflation peut être attribuée en partie à des facteurs temporaires, notamment la hausse des prix de l’essence, mais aussi, plus fondamentalement, à « l’effet de la résorption continue de la capacité excédentaire au sein de l’économie ». Cette marge de ressources inutilisée, notamment sur le marché du travail, est toujours là, assure la Banque, « quoique décroissante ».

Celui dont on ne prononce pas le nom

 

Les seules véritables ombres dans ce tableau viennent de l’international, explique-t-elle. Bien sûr, les États-Unis ont connu ces derniers mois une croissance économique « plus robuste qu’escompté, mais on s’attend encore à ce qu’elle se modère » dans les prochains mois. Bien sûr, l’activité économique se raffermit dans les autres pays développés, le prix que le Canada pourra exiger pour son pétrole augmente et les conditions financières se sont encore assouplies, mais « les perspectives mondiales demeurent entachées d’une incertitude considérable, notamment quant à l’évolution géopolitique et aux politiques commerciales ».

Lors de sa dernière décision de politique monétaire, la banque centrale avait été plus explicite quant à ces incertitudes de nature commerciale en évoquant le sort incertain de la renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain actuellement en cours entre le Canada, le Mexique et le nouveau gouvernement américain du président Donald Trump.

Aussi, « quoique des taux d’intérêt plus élevés soient probablement nécessaires avec le temps », dit la Banque, son conseil de direction « continuera à faire preuve de circonspection » et de suivre attentivement la sortie des nouvelles données économiques.

Comment ajuster la politique monétaire quand le taux de chômage est descendu au plus bas depuis 40 ans et que l’ALENA reste entouré d’un nuage d’incertitude ?

 

Tôt ou tard

N’eût été les toutes dernières lignes de son communiqué, on aurait pu croire que la Banque du Canada était en train d’annoncer la hausse des taux d’intérêt, a noté avec amusement l’économiste de la Banque TD, Brian DePratto, dans une brève analyse mercredi. Toutes les conditions semblent être réunies : un taux de chômage record de seulement 5,9 %, une accélération de la hausse des salaires, des dépenses de consommation vigoureuses… « Avec une croissance économique qui semble en voie de dépasser, pour le dernier trimestre de l’année, les prévisions de la Banque de 2,5 % en rythme annualisé, tout porte à croire que la hausse des taux viendra plus tôt que tard. »

Les économistes Stéfane Marion et Paul-André Pinsonnault disent avoir été surpris non pas par la décision, mais par le ton de la banque centrale, qui ne traduit aucune impatience à reprendre la remontée du loyer de l’argent. « Nous continuons de penser que la politique monétaire est trop détendue. » Ils conviennent cependant que Stephen Poloz est placé devant une décision difficile. « Comment ajuster la politique monétaire quand le taux de chômage est descendu au plus bas depuis 40 ans et que l’ALENA reste entouré d’un nuage d’incertitude ? »

Le fait de ne pas se presser permet à la Banque du Canada d’avoir une meilleure idée du dénouement probable des négociations de l’ALENA actuellement dans une mauvaise passe, fait valoir Benoit P. Durocher, économiste au Mouvement Desjardins. Elle se donne aussi un peu de temps pour voir l’impact des nouveaux resserrements des règles hypothécaires imposés à compter du mois de janvier et qui obligeront notamment les banques à tester la capacité de tout acheteur de maison de résister à une hausse des taux d’intérêt.

Chose certaine, une simple appréciation du dollar canadien ne suffira pas pour réduire les risques d’inflation, prévient Douglas Porter. L’économiste de la Banque de Montréal s’attend plutôt à une première hausse de 0,25 point de pourcentage en mars 2018, suivie de deux autres vers la fin de l’année.

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