Au temps où le fisc faisait payer les riches

L’impôt sur le revenu a vu le jour pour financer la Première Guerre mondiale.
Photo: Bibliothèque et Archives Canada L’impôt sur le revenu a vu le jour pour financer la Première Guerre mondiale.

L’impôt sur le revenu des particuliers fête ses 100 ans au Canada. Adopté, à l’origine, comme une façon d’amener le 1 % des plus riches à contribuer un peu à l’effort de guerre, il a lentement été étendu aux autres contribuables, jusqu’à ce qu’on commence à construire l’État-providence et qu’il devienne rapidement la principale source de financement des gouvernements.

20 septembre 1917. Pendant que la Première Guerre mondiale bat encore son plein en Europe, la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu reçoit la sanction royale à Ottawa. Elle étend aux particuliers l’impôt de 4 % que le gouvernement fédéral a commencé, un an auparavant, à percevoir sur les profits des entreprises. Administré par une petite équipe de 36 fonctionnaires, le nouvel impôt s’applique aux personnes non mariées et veuves sans enfant qui gagnent au moins 1500 $ par année (24 600 $ en dollars de 2017) et à tous les autres à partir de 3000 $ (49 200 $). Il passe à 6 % à partir de 6000 $ de revenu (99 100 $), puis continue d’augmenter jusqu’à un taux maximal de 29 % sur les revenus qui dépassent la somme astronomique de 100 000 $ par année (1,65 million).

Le nouvel impôt n’apportera, en 1918, qu’une bien mince contribution aux finances du gouvernement fédéral (à peine 2,8 %), contrairement à la grande vache à lait de l’époque : les droits de douane (47 %). Il faut dire que, selon le gouvernement de Robert Borden, il ne vise explicitement que le 1 % des plus riches, rappelle Luc Godbout, professeur et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, dans un article sur le sujet dévoilé mardi.

Il faudra seulement 16 ans pour que cette proportion de contribuables double, et elle n’est toujours que de 2,8 % à la veille de la Deuxième Guerre mondiale. La proportion de la population canadienne qui produit une déclaration de revenus bondit à 26 % au lendemain de la guerre, dépasse 52 % en 1975, atteint 68 % en 1992 et se situe aujourd’hui à 74 % (91 % si l’on s’en tient à la population de 18 ans et plus). « Cette expansion de l’impôt sur le revenu coïncide avec la construction de l’État-providence », a fait remarquer Luc Godbout dans un entretien téléphonique avec Le Devoir. Il tient aussi au fait que, même s’ils ne gagnent pas assez pour devoir payer de l’impôt sur le revenu, des contribuables remplissent des déclarations pour obtenir certaines prestations.

Aujourd’hui, l’impôt sur le revenu des particuliers représente plus de la moitié (51 %) des recettes du gouvernement fédéral, ou 152 milliards par année. Ces recettes s’élevaient à près de 244 milliards en 2015, si l’on ajoutait les provinces.

« Rendez-nous notre butin »

Le partage de cette source de financement entre les deux niveaux de gouvernement a d’ailleurs donné lieu à plusieurs batailles, notamment entre Ottawa et Québec. Curieusement, la première au Québec à avoir prélevé un impôt sur le revenu des particuliers fut la Ville de Montréal en 1935. Aux prises avec des problèmes financiers, elle instaure un impôt sur le revenu de ses résidants qui était calculé à partir de ce qu’ils versaient au gouvernement fédéral. À Québec, le gouvernement libéral d’Adélard Godbout se dotera en juin 1940 d’un premier impôt provincial. « Ce qui est particulier, c’est qu’il s’appliquait rétroactivement aux revenus de l’année précédente », raconte Luc Godbout. On met en place dans la même foulée une taxe sur le commerce au détail. « Disons que les gens devaient trouver que ça faisait beaucoup ! »

Durant la Deuxième Guerre mondiale, le gouvernement fédéral demandera aux provinces de lui laisser tout le champ d’imposition sur les revenus des particuliers pour l’aider dans son effort de guerre en échange d’une compensation financière. Une fois la guerre terminée et avec l’explosion des dépenses publiques, Ottawa ne voudra plus rendre ce pouvoir. Cela amènera le premier ministre québécois du temps, Maurice Duplessis, à exiger et finalement à obtenir en 1954 qu’on « nous rende notre butin ».

Question d’équité

De 1955 à 1971, le taux d’impôt marginal le plus élevé pour les gouvernements fédéral et québécois combinés dépassait 82 % et s’appliquait à partir de l’équivalent de 2,5 millions de revenu en dollars de 2017. Ce taux marginal maximal a ensuite été fortement révisé à la baisse, à 62 % à partir d’un revenu supérieur à 361 000 $ de 2017. Malgré les apparences, cette réforme, adoptée à la suite d’une commission d’enquête sur la fiscalité (commission Carter), visait une meilleure équité parce qu’elle levait, au moins en partie, l’exemption dont bénéficiaient les plus riches avec leurs gains en capital en vertu du principe qu’en matière de revenu, « un dollar est un dollar est un dollar » peu importe sa provenance. Le taux marginal maximal combiné est aujourd’hui de 53 % et s’applique à partir de 203 000 $.

Il faudra attendre la fin des années 1980 pour assister à une autre grande réforme. L’opération visait notamment à réduire les taux d’impôt en faisant un grand ménage dans les exceptions fiscales et en diversifiant un peu les sources de revenus du gouvernement en introduisant la taxe sur les produits et services (TPS). À l’origine, le gouvernement conservateur de Brian Mulroney souhaitait que cette taxe soit de 9 % et qu’on réduise les taux d’imposition de la classe moyenne. Devant le tollé suscité par la nouvelle taxe, il l’a réduite à 7 % et a laissé tomber sa baisse d’impôt. Aujourd’hui, le Canada, mais surtout le Québec, est parmi les économies développées où le poids de l’impôt sur le revenu des particuliers est le plus élevé en proportion des autres sources de recette fiscale.

« En comparaison, ce qu’on appelle la réforme du ministre Morneau semble bien modeste, dit Luc Godbout du projet du ministre libéral des Finances à Ottawa qui cherche à réduire des échappatoires fiscales utilisées par les plus fortunés. Et à voir les résistances que cela soulève, je doute que quiconque ose s’embarquer dans des réformes plus ambitieuses. »

La fin d’un mythe

Et cette histoire que l’impôt sur le revenu est une vieille promesse brisée parce qu’elle avait été présentée en 1917 comme une mesure temporaire ? « Je l’avais entendue, moi aussi, et je la tenais pour vraie. Mais c’est un mythe », répond Luc Godbout.

En fait, le ministre fédéral des Finances de l’époque, Thomas White, n’a jamais présenté la mesure comme temporaire ou permanente. Ce qu’il avait dit, c’est qu’il ne pouvait pas présumer de la façon dont cet impôt allait être reçu par la population ni quels allaient être les besoins fiscaux, économiques ou sociaux à venir. Il avait seulement exprimé le souhait que tout cela fasse l’objet d’un grand réexamen lorsqu’on aurait payé les coûts infligés par la guerre. « Disons que c’était un bel exemple de discours politicien », dit le professeur de l’Université de Sherbrooke.

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