4,7 milliards de réserve qui soulèvent des questions à Québec

La hauteur des sommes qui se retrouvent soudainement dans la réserve de stabilisation a suscité non seulement de l’indignation au sein de la société civile et des partis d’opposition, mais aussi de l’étonnement chez des économistes qui s’interrogent sur le niveau idéal que devrait avoir un tel coussin.
Lors d’une mise à jour sur l’état des finances publiques, le ministre des Finances a indiqué mercredi qu’un excédent-surprise de 2,5 milliards en 2016-2017 porte à 4,7 milliards la réserve de stabilisation, créée lors de la récession de 2009 pour affronter des chocs économiques majeurs.
« On vient de trouver 5 milliards en deux ans. Il me semble que c’est gros. J’ai l’impression qu’on a des réserves partout. Or, plus ta situation financière est bonne, moins ton coussin devrait être épais », laisse tomber l’économiste Jean-Pierre Aubry, économiste associé au CIRANO (Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations). « Cette somme-là sur deux ans qui n’a pas été dépensée… Qu’est-ce qu’on aurait pu se permettre ? C’est ça, la question. C’est quoi, l’autre bout de l’équation ? »
Au dépôt de son budget en mars dernier, le ministre Carlos Leitão avait prévu pour 2016-2017 un excédent de 250 millions. Ce sera plutôt 2,5 milliards. L’écart vient notamment d’une hausse des revenus d’impôt des entreprises et des revenus des sociétés d’État, de même que de certains fonds spéciaux, comme le Fonds vert, qui n’ont pas été dépensés en cours d’année.
En plus de la réserve de stabilisation, Québec met de côté de l’argent dans une « provision pour éventualités ». Le gouvernement y consacre 100 millions cette année et compte augmenter les montants : en 2021-2022, selon ses plus récentes prévisions budgétaires, il y injecterait 900 millions. « Ce qu’on aimerait, c’est que ça représente, je ne sais pas, 1 % des dépenses, donc 1 milliard sur 100 milliards. Les gens mettent moins à cause de 56 affaires, mais je dirais facilement 0,25 % ou 0,50 %. »
La réserve est restée vide pendant des années après que Québec l’eut vidée d’environ 2 milliards pour soutenir les finances pendant la récession de 2009. « Le fait qu’il recommence à y avoir de l’argent dans la réserve, c’est assez nouveau,dit Benoit P. Durocher, économiste au Mouvement Desjardins. C’est de l’argent qui est mis de côté au cas où il y aurait un choc dans les prochaines années, de façon à ce qu’on puisse traverser ça sans mettre en péril les finances publiques. »
Divers mécanismes
Les gouvernements peuvent avoir recours à diverses façons de préparer leurs finances à un revirement de situation. À Ottawa, une somme de 3 milliards est souvent mise de côté, mais il est déjà arrivé qu’un gouvernement réduise cette somme spontanément — les conservateurs en avril 2015, à quelques mois des élections — afin de produire un excédent.
Au sud de la frontière, tous les États sauf trois — l’Arkansas, le Kansas et le Montana — ont une réserve de stabilisation en place, mais les formes varient. Alors que certains déposent la totalité de leur excédent de fin d’année, d’autres y consacrent une partie seulement. Une autre méthode consiste à effectuer des versements automatiques. Si le but consiste généralement à contrebalancer d’éventuelles baisses de revenus, le Colorado, par exemple, se limite à piger dans la réserve uniquement pour des cas de catastrophe naturelle.
La réserve, explique la loi québécoise, vise « la planification budgétaire pluriannuelle du gouvernement » et permet « subsidiairement le versement de sommes au Fonds des générations »,dont l’objectif est de réduire le poids de la dette du gouvernement.
Le ministre des Finances de l’époque, Raymond Bachand, avait affirmé en mai 2009 que le système serait « plus clair, plus limpide, plus flexible » que celui qui prévalait. « S’il y a un excédent pour une année financière, il va automatiquement être imputé à cette réserve-là, alors qu’auparavant on pouvait chaque année spécifier le montant affecté à la réserve et d’autres fins poursuivies. »
« Il n’y a pas de plafond dans la loi, mais c’est clair qu’on ne pourra pas accumuler des dizaines de milliards là-dedans non plus,dit M. Durocher. On n’a pas besoin de dizaines de milliards pour faire face à des chocs. Cela dit, on ne prévoit pas en mettre beaucoup dans les prochaines années. On ne planifie pas délibérément une nouvelle injection dans la réserve. »
Dans le budget déposé au mois de mars par le ministre Leitão, on indique que les années 2017-2018 à 2021-2022 se solderont par l’équilibre budgétaire.