L’intelligence artificielle, une arme de plus contre le cancer

Le Québec regorge d’entrepreneurs passionnés qui tentent de mettre à profit une idée ou un concept novateur. Chaque semaine, Le Devoir vous emmène à la rencontre de gens visionnaires, dont les ambitions pourraient transformer votre quotidien. Aujourd’hui, un informaticien convaincu que l’intelligence artificielle peut sauver des vies.
Il y a cinq ans, peu de temps après la vente de Planora, une compagnie de logiciels qu’il avait cofondée une décennie auparavant, Alexandre Le Bouthillier a songé à prendre sa retraite pour de bon. Il aurait pu utiliser la somme qu’il venait de toucher pour profiter de la vie. Mais la vie, justement, en a décidé autrement.
En 2014, son père, Claude Le Bouthillier, un écrivain acadien bien connu au Nouveau-Brunswick, reçoit un diagnostic de cancer, auquel il succombera deux ans plus tard. Cette dure épreuve incite l’entrepreneur en série à créer une nouvelle compagnie dans un domaine qu’il n’avait jamais exploré auparavant, celui de la santé.
Avec son collègue Nicolas Chapados, il a fondé Imagia en faisant le pari que l’intelligence artificielle s’ajoutera à l’arsenal de la médecine pour vaincre le cancer, une maladie qui affectera près d’un Canadien sur deux.
« On peut vouloir lutter contre quelque chose, mais si on n’a pas les bons outils, c’est vain, affirme-t-il d’une voix posée. Je savais qu’avec la percée de l’apprentissage profond, ce ne serait pas une perte de temps. »
« Course contre la montre »
La plateforme développée par Imagia a pour but de permettre aux spécialistes de détecter, de classifier et éventuellement de prédire l’apparition de différents types de cancer, pour les traiter le plus rapidement et le plus efficacement possible.
« Quand le cancer est pris tôt et qu’on a les bons traitements, on peut le guérir, mais quand c’est découvert plus tard, le résultat peut être différent. C’est vraiment une course contre la montre », souligne M. Le Bouthillier.
L’entreprise tire profit des dernières percées en intelligence artificielle pour analyser différents types d’imagerie médicale. Le système « s’entraîne » avec des milliers d’exemples d’images, ce qui lui permet ensuite de détecter la présence d’anomalies que l’oeil humain a parfois du mal à percevoir.
« Il y a un besoin énorme. La population est vieillissante, il y a une pénurie de radiologues sur le marché et les radiologues demandent des outils quantitatifs pour les aider dans leur travail », soutient le cofondateur, en précisant que près d’un milliard d’images différentes sont traitées chaque année en Amérique du Nord.
Analyse en direct
La plateforme d’Imagia ne se contente pas d’analyser des images fixes. Elle peut également venir en aide aux gastro-entérologues qui utilisent une caméra afin d’inspecter le tube digestif.
Ces spécialistes ont l’habitude de retirer ce qu’on appelle des polypes, qui peuvent être bénins ou malins. Chaque polype est ensuite envoyé en laboratoire pour être analysé, ce qui engendre d’importants coûts.
Le système d’Imagia permet d’effectuer une « biopsie optique », c’est-à-dire qu’il peut évaluer en direct, en analysant les images vidéo, si les polypes qui apparaissent à l’écran sont malins ou non.
« De cette façon, on enverrait en pathologie seulement ceux qui ont l’air malins. Ça représenterait une économie d’environ un milliard de dollars, sur les 25 millions de côlonoscopies faites chaque année en Amérique du Nord », explique M. Le Bouthillier.
Intérêt généralisé
Dans ses bureaux du boulevard Saint-Laurent, l’équipe d’Imagia continue de peaufiner la plateforme, qui doit recevoir le feu vert des autorités réglementaires avant d’être commercialisée.
L’entreprise est malgré tout en contact avec différents intervenants du milieu médical, qui sont impatients de rendre comestibles des données pour l’instant indigestes, grâce à l’intelligence artificielle.
« Nous sommes en discussion avec à peu près toutes les compagnies pharmaceutiques. Parce que l’intelligence artificielle est une arme qui les intéresse énormément, note le directeur des opérations. Il y a des hôpitaux qui ont montré de l’intérêt au Québec, mais aussi aux États-Unis et en Europe. »
Se rendre au patient
Alexandre Le Bouthillier espère que la solution d’Imagia pourra être offerte d’ici quelques années, et il n’exclut pas que la compagnie soit éventuellement achetée par un gros joueur de l’industrie, comme l’a été sa dernière entreprise.
« Mon objectif personnel, et celui de la compagnie, c’est d’atteindre le patient. On fera donc ce qu’il faut pour atteindre le plus grand nombre de patients le plus rapidement, pour que d’autres papas, d’autres mamans et d’autres enfants puissent être sauvés, dit-il. Ce que j’aimerais, c’est que le cancer puisse se détecter et se traiter facilement, tout simplement. »
« Et j’espère que vous ne serez pas un utilisateur de nos produits. »