Intelligence artificielle: «On n’a plus le temps d’attendre»

Vous êtes de ceux qui craignent l’arrivée de voitures autonomes sur nos routes ou la multiplication d’objets connectés dans notre quotidien ? Vous redoutez la présence de robots dans nos maisons et nos lieux de travail ? Hugues Bersini, lui, croit que ces technologies sont la solution à bien des maux de l’humanité et souhaite que les gouvernements en reprennent rapidement le contrôle. Entretien avec un spécialiste de l’intelligence artificielle et un grand défenseur de l’informatique « bienveillante ».

« Il y a les pessimistes et les optimistes. Je fais partie des optimistes : je pense que l’intelligence artificielle est une occasion extraordinaire de faire face à la complexification du monde », affirme cet homme au sourire facile, qui enseigne à l’Université libre de Bruxelles, où il codirige un laboratoire consacré à l’intelligence artificielle.
« Il y a beaucoup de problèmes sociaux que nous avons du mal à gérer, parce que leur complexité nous dépasse, que ce soit lié à l’économie, au réchauffement climatique, à la mobilité. Et s’il y a une chose que l’informatique fait très bien, c’est gérer cette complexité. Si on en prend possession et qu’on sait la maîtriser, elle peut nous aider », fait-il valoir.
Aux gouvernements d’agir
M. Bersini sera la tête d’affiche d’une conférence présentée ce mardi à Montréal dans le cadre du Printemps numérique. Décrit comme un « gourou de l’intelligence artificielle », il prendra la parole aux côtés d’experts provenant de Google, d’IBM et de l’IVADO, l’Institut de valorisation des données établi à Montréal.
En entrevue au Devoir, ce professeur de renom invite les gouvernements à prendre conscience du potentiel énorme des technologies qui sont en train de se développer et à en tirer profit aussi rapidement que possible. « On n’a plus le temps d’attendre », tranche-t-il.
Pendant que les Google, Amazon, Facebook et Apple de ce monde s’approprient les technologies de demain, la plupart des politiciens les regardent les bras croisés, déplore-t-il.
« Ces compagnies sont aux avant-postes de la transition sociale. Et pas nos gouvernants. […] Il faut que les gouvernements reprennent la main sur le pouvoir immense qu’ont pris les compagnies privées. »
Pas d’humain au volant
Parmi les exemples de technologies porteuses, Hugues Bersini évoque souvent la voiture autonome. « Si on considère que le transport, c’est aller du point A au point B le plus vite possible, en commettant un minimum d’accidents et en étant le moins polluant possible, je pense que ce n’est pas une bonne idée que les êtres humains soient au volant. »
Selon l’informaticien, tout est en place pour que les voitures autonomes s’imposent sur les routes et puissent à terme communiquer entre elles, faisant chuter le nombre de collisions. La transition vers cette flotte de voitures — ou encore mieux, d’autobus — autonomes est malheureusement ralentie par les réticences sociales, constate-t-il à regret.
Il y a bien sûr des enjeux éthiques incontournables liés au partage de données ou à la sécurité : en cas de collision, le véhicule autonome devrait-il sacrifier la vie de son occupant ou celles des deux passagers du véhicule devant lui ?
« Il faut se mettre d’accord sur des choix sociétaux et configurer les algorithmes en conséquence », répond simplement M. Bersini, qui estime de toute façon qu’avec des véhicules connectés, cette situation serait rarissime.
S’adapter aux changements
Le professeur a parfois l’impression de « prêcher dans le désert », à force d’entendre que les progrès de l’intelligence artificielle et l’automatisation constituent une menace.
« Il y a des tonnes de bouquins qui racontent la même chose sur la disparition d’emplois, lance-t-il. Je les lis parce que ça m’amuse, c’est de la science-fiction ! Les métiers sont bien sûr à réinventer, mais on a toujours réussi à le faire. »
Pour ce qui est du partage des données des utilisateurs, il suffit selon lui de réglementer leur usage. Et la cybercriminalité, même si elle représente une menace réelle, ne devrait pas freiner le progrès.
« Dès qu’on autonomise nos habitats, nos véhicules ou même la police, on imagine que c’est un foyer extraordinaire pour des gens qui voudraient détourner cette automatisation à leur profit. Mais il va y avoir, et c’est déjà le cas aujourd’hui, une guerre larvée entre les hackers malveillants et les hackers bienveillants, prédit-il. J’espère que la compétence sera toujours du côté du bien. »
Hugues Bersini demeure optimiste, en dépit des doutes et des craintes ambiantes. Il rêve du jour où l’usage des technologies rendra notre monde plus égalitaire, plus pacifiste et moins pollué.
« Ça va vous sembler étrange, mais mon idéal serait une sorte de Truman Show, affirme-t-il sans rire, évoquant ce film où un homme évolue sans le savoir dans un monde artificiel. Nous allons construire un Truman Show, mais en sachant de quoi sont faits les murs et en connaissant les limitations de ce monde. »