Des revenus vertigineux pour 100 p.-d.g. canadiens

Le rapport du Centre canadien des politiques alternatives estime que le salaire moyen des 100 p.-d.g. les mieux payés était de 9,5 millions en 2015.
Photo: Jacques Nadeau Archives Le Devoir Le rapport du Centre canadien des politiques alternatives estime que le salaire moyen des 100 p.-d.g. les mieux payés était de 9,5 millions en 2015.

Il aura suffi des premières heures de la matinée, mardi, alors que la plupart des travailleurs canadiens reprenaient tranquillement leurs activités professionnelles au lendemain des Fêtes, pour que les 100 présidents-directeurs généraux les mieux rémunérés du pays engrangent déjà davantage que le salaire annuel du travailleur moyen en 2017.

Si l’exercice — publié annuellement depuis dix ans par le Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) — est critiqué par plusieurs groupes de réflexion, il n’en reste pas moins que l’image frappe : à 11 h 47 très exactement, l’élite des chefs de la direction du pays avait déjà empoché le salaire moyen annuel d’un Canadien travaillant à temps plein.

Et l’écart ne fait que s’accroître. En 2016, il avait fallu une demi-heure de plus pour franchir ce seuil symbolique.

Hugh Mackenzie, un économiste indépendant établi à Toronto qui a écrit le rapport pour le laboratoire d’idée situé dans la capitale fédérale, estime que l’analogie de l’horloge est une façon puissante d’illustrer l’écart qui se creuse entre ce que les principaux dirigeants et les Canadiens moyens gagnent.

« Il y a manifestement eu une explosion de la rémunération des hauts dirigeants au Canada et aux États-Unis, soutient-il. Et c’est un symbole puissant de la croissance des inégalités de revenus. »

Deux femmes sur cent

 

Non sans humour, le rapport du CCPA souligne également que le palmarès des 100 p.-d.g. les plus riches compte cinq hommes nommés Marc ou Mark, cinq Michael, quatre Alain ou Alan et autant de John, Paul et Steve, et trois hommes appelés Brian, Charles ou Donald. Sans surprise, la plupart d’entre eux sont des hommes blancs ; sur les cent p.-d.g. les mieux payés au pays, seulement deux sont des femmes.

 

À l’inverse du CCPA, l’Institut économique de Montréal (IEDM) juge plutôt ce palmarès « improductif ». « Ça ne sert qu’à susciter l’envie, et ça ne contribue pas à faire avancer le débat sur l’inégalité de la richesse. Ça laisse miroiter que si on redistribuait cette richesse on aurait moins de problèmes. Mais ces revenus, ce sont des sommes infimes si on les compare, par exemple, aux ressources dont dispose le gouvernement », affirme Alexandre Moreau, analyste en politique publique au sein de l’IEDM.

Si, hypothétiquement, le fisc mettait la main sur 100 % de cette rémunération, cela représenterait à peine 0,12 % de l’ensemble des dépenses publiques des divers paliers gouvernementaux canadiens, relativise-t-il.

Le rapport de cette année, qui se fonde sur l’information dévoilée par les entreprises publiques canadiennes en 2016, estime que la rémunération moyenne des 100 p.-d.g. les mieux payés était de 9,5 millions en 2015 — soit 193 fois le salaire industriel annuel moyen de 49 510 $.

Il s’agit d’une hausse par rapport à la moyenne de 8,96 millions en 2014 — quelque 184 fois le salaire moyen d’un travailleur cette année-là.

En 1998, le p.-d.g. canadien moyen gagnait « seulement » 103 fois le salaire d’un Canadien moyen. L’écart entre la rémunération moyenne des 100 dirigeants les mieux payés et celle d’un contribuable moyen a augmenté de 179 % pendant cette période, passant de 3,4 millions à 9,5 millions.

En 1995, les 50 p.-d.g. les mieux payés subsistaient grâce à 85 fois le salaire canadien moyen ; le ratio est passé à 290 fois, en vingt ans. « C’est un montant insignifiant, ce n’est pas avec ça qu’on pourrait financer les programmes publics », insiste néanmoins M. Moreau.

M. Mackenzie affirme que la tendance vers une rémunération plus élevée des p.-d.g. a été constante au cours des années, malgré les difficultés économiques et les tentatives des actionnaires pour avoir un plus grand rôle à jouer dans la rémunération des dirigeants.

Il y a manifestement eu une explosion de la rémunération des hauts dirigeants au Canada et aux États-Unis. Et c’est un symbole puissant de la croissance des inégalités de revenus.

 

Mais il souligne qu’il y a toujours au moins un ou deux dirigeants chaque année qui sont loin devant les autres, ce qui crée possiblement une distorsion de la moyenne globale de ce top-100.

La majeure partie de l’augmentation d’année en année dans ce palmarès était attribuable à une seule personne — Michael Pearson, l’ancien p.-d.g. de Valeant Pharmaceuticals, qui a bondi en première place avec une rémunération de 182,9 millions en 2015, alors qu’il avait empoché 11,35 millions en 2014.

Une promesse brisée de Justin Trudeau

 

M. Mackenzie affirme que les problèmes viennent de la façon dont les p.-d.g. sont rétribués — souvent par des programmes d’attribution d’actions et des options sur des actions qui peuvent mener des dirigeants à prendre des décisions qui les récompensent à court terme plutôt que de bénéficier à l’entreprise ou au public.

Il suggère qu’Ottawa modifie les règles du jeu en mettant fin à un avantage fiscal accordé aux revenus sur les options d’actions. « Les produits sur les options d’actions au Canada sont imposés à la moitié du taux sur les revenus ordinaires », souligne l’économiste.

« Le gouvernement [Trudeau] a promis de se débarrasser de cela, mais s’est ensuite ravisé devant l’opposition de la communauté d’affaires. L’une des choses que je vais suivre avec un certain intérêt est ce que va faire le gouvernement dans son prochain budget quant à cette promesse datant de sa campagne électorale. »

M. Moreau juge que le gouvernement ne devrait pas intervenir pour influencer le modèle de rémunération des dirigeants. Il devrait plutôt agir afin de mettre fin « aux mauvaises subventions aux entreprises privées » qui ne bénéficient pas à la population.

« Si on veut vraiment s’attaquer à ce débat, à l’injustice, ce qui est pertinent, ce sont des politiques publiques qui font en sorte qu’on ne s’enrichira plus au détriment des contribuables ordinaires ». Il cite en exemple Bombardier, qui bénéficie de généreuses subventions de la part de Québec. « Avec Bombardier, on voit une entreprise où l’on assume collectivement tout le risque alors que le profit est privatisé. »

Malgré les importantes difficultés que connaît le fleuron québécois, son p.-d.g., Pierre Beaudoin, se hisse au 92e rang des dirigeants les mieux payés, avec un salaire de base de 820 000 $, un boni de 990 000 $ et d’autres avantages, pour une rémunération totalisant 3,85 millions.

Les 5 p.-d.g. les mieux payés au pays

  1. Michael Pearson, de Valeant Pharmaceuticals: 182,9 millions de dollars
  2. Donald Walker, de Magna International: 26,5 millions de dollars.
  3. Hunter Harrison, de Chemin de fer Canadien Pacifique: 19,9 millions de dollars.
  4. Steven Hudson, de Element Financial: 19,3 millions de dollars.
  5. Mark Barrenechea, de OpenText: 18 millions de dollars.


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