Les vols à bas prix limités par la «culture de la voiture» canadienne

«Nous souhaitons attirer les Canadiens qui ne voyagent pas du tout pour l’instant, puisque les prix des billets sont trop chers», explique le directeur commercial de NewLeaf, Dean Dacko.
Photo: Peter Power La Presse canadienne «Nous souhaitons attirer les Canadiens qui ne voyagent pas du tout pour l’instant, puisque les prix des billets sont trop chers», explique le directeur commercial de NewLeaf, Dean Dacko.

Depuis lundi, des avions affrétés par la compagnie NewLeaf sillonnent le ciel canadien. Ce nouveau venu dans le marché des vols intérieurs se réclame des compagnies « à très bas prix » qui connaissent le succès en Europe, aux États-Unis et en Asie. Ce modèle d’affaires n’a toutefois jamais vraiment fait ses preuves au pays, où les échecs s’accumulent depuis le début des années 2000. Si les prix des billets sont condamnés à demeurer élevés, c’est peut-être un peu à cause de notre culture de l’automobile, prévient un expert.

Douze des 14 lignes du nouveau venu en aviation NewLeaf traverseront le ciel de l’Ouest, déjà le théâtre d’une guerre de prix entre Air Canada et WestJet. Questionné à savoir laquelle de ces entreprises sera sa principale rivale, le directeur commercial de NewLeaf, Dean Dacko, a répondu au Devoir qu’il ne considère pas les transporteurs établis comme ses concurrents directs. « Nous souhaitons attirer les Canadiens qui ne voyagent pas du tout pour l’instant, puisque les prix des billets sont trop chers. Nous souhaitons agrandir le marché. » Pour attirer ces clients, on prévoit de faibles prix (de 25 % à 40 % moins chers que les autres transporteurs, prétend NewLeaf) et la connexion d’aéroports excentrés permettant d’économiser des coûts.

Ce pari est toutefois risqué, prévient Mehran Ebrahimi, professeur à l’ESG de l’UQAM et directeur du Groupe d’étude en management des entreprises aéronautiques. « Le potentiel de croissance de notre marché [des vols intérieurs] est minime, et ça implique de transformer une culture de la voiture à une culture de l’avion. Ce n’est pas gagné d’avance », croit-il.

Non seulement notre marché aérien est-il de petite taille, étant donné notre faible population répartie sur un grand territoire, mais son développement est aussi limité par une barrière culturelle : la préférence des Canadiens à conduire les trajets « moyens » d’environ 500 km ou moins, selon Mehran Ebrahimi. Même advenant que le prix d’un billet d’avion soit l’équivalent du prix d’un trajet en voiture, « le voyageur va se demander : à destination, comment dois-je quitter l’aéroport ? Vais-je devoir louer une voiture ? Tout ça représente des coûts supplémentaires », analyse le professeur de gestion. A contrario, la densité de population plus élevée en Europe et aux États-Unis favorise le développement d’une culture de l’avion pour les trajets « moyens ». Résultat : de nombreuses compagnies investissent le marché, et les prix chutent en conséquence. « Je peux voler de Paris à Naples pour 40 euros, témoigne M. Ebrahimi. Au Canada, on ne verra jamais ça. »

Une succession d’échecs en aviation

L’histoire récente de l’aviation civile canadienne démontre que le marché n’a jamais fait preuve de pitié au moment d’éliminer des joueurs trop téméraires. Seulement depuis 2000, cinq transporteurs se sont éteints dans le paysage canadien. La brusque faillite de Canada 3000, en novembre 2001, a lancé le bal en invalidant pour près de 30 millions de dollars en billets d’avion. Cette année-là, Roots Air est entré dans le marché, puis l’a quitté, gobé par Air Canada. Ensuite, la tentative de l’homme d’affaires Michel Leblanc de créer le transporteur « à bas prix » JetsGo s’est soldée par une faillite, en mars 2005, laissant en plan du jour au lendemain ses 1200 employés et 17 000 voyageurs, à la veille du congé de la semaine de relâche dans plusieurs provinces canadiennes. Un sort qu’a aussi connu Zoom, transporteur emporté par le prix du carburant en 2008. Finalement, Canjet, entreprise d’Halifax, a tenté d’offrir des vols intérieurs entre 2002 et 2006, mais s’est éteinte en 2015 faute d’un modèle d’affaires viable.

Selon le professeur Mehran Ebrahimi, les échecs des entreprises témoignent des caprices du marché canadien, qui maintiennent les prix élevés. « Ce sont les grosses lignes qui sont rentables, comme Montréal-Toronto-Vancouver. Mais Air Canada et WestJet ne laisseront personne s’y installer, et elles ont les reins solides ! »

La Calgarienne WestJet a d’ailleurs justement annoncé, le jour du lancement de NewLeaf, l’ajout de dizaines de nouvelles liaisons pour l’hiver, dont la majorité est au départ de Toronto, Vancouver ou Calgary.

 

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