Quatre courtiers condamnés à des peines de prison

Le courtier Jay Merchant a été condamné à six ans et demi de prison.
Photo: Matt Dunham Associated Press Le courtier Jay Merchant a été condamné à six ans et demi de prison.

Dans le tourbillon du Brexit, la nouvelle est passée inaperçue. Et pourtant, elle fera date. Jeudi, quatre courtiers de Barclays ont été condamnés à de sévères peines de prison pour leur implication dans le scandale du Libor. Jay Merchant, 45 ans, est envoyé derrière les barreaux pour six ans et demi, Jonathan Mathew, 35 ans, pour quatre ans et Alex Pabon, 38 ans, pour deux ans et neuf mois. Peter Johnson, 61 ans, a écopé de quatre ans, une peine réduite d’un tiers parce qu’il avait plaidé coupable, contrairement à ses anciens collègues.

Avec ce jugement, la justice britannique persiste et signe. Elle se distingue aujourd’hui comme étant l’une des plus dures contre les crimes financiers. Elle avait fait date en 2015 quand Tom Hayes, l’un des principaux protagonistes du scandale du Libor, avait été condamné à quatorze années d’emprisonnement, désormais réduites à onze ans. En comparaison, aux États-Unis, les peines concernant le Libor n’ont pas dépassé deux ans. Et aucune autre juridiction à travers le monde n’a envoyé de courtier derrière les barreaux dans ce dossier. Le Royaume-Uni, pays qui était autrefois fier de sa régulation « light touch », semble se rattraper.

Jusqu’en 2008, le Libor était un sujet technique inconnu hors d’un petit milieu de spécialistes. Ce taux, qui mesure le prix auquel les banques se prêtent entre elles, était déterminé par un panel de seize banques. Chaque jour, il était mis au point de façon très artisanale : à une heure fixe, un banquier de chaque établissement du panel communiquait le taux pratiqué ce jour-là. Un simple coup de téléphone, ou un courriel, sans qu’aucune preuve soit apportée. Le taux soumis n’avait même pas besoin d’être basé sur des transactions qui s’étaient réellement produites. Il pouvait être l’approximation du moment. Ensuite, la moyenne pondérée des seize taux était réalisée.

La tentation

 

Face à un tel flou, la tentation d’abuser du système était évidente. Inévitablement, les banquiers qui soumettaient le taux se sont retrouvés sous pression des courtiers de leur propre banque, pour augmenter ou baisser le taux en fonction de leurs positions sur les marchés. La tentation était d’autant plus grande que souvent, courtiers et soumissionnaires étaient assis dans le même bureau, parfois en face les uns des autres. Dans certaines banques, c’était les mêmes personnes qui jouaient les deux rôles.

La tricherie ne consistait pas à inventer un taux interbancaire complètement farfelu. Il ne s’agissait que de l’augmenter ou de l’abaisser à la marge, peut-être d’un point de base (0,01 %). La pratique était tellement répandue que toutes les banques faisaient de même, et qu’un vaste réseau d’entente entre les établissements avait été mis sur pied. Cette pratique était connue à tous les niveaux. Aujourd’hui, à la lumière de la crise, cette manipulation est jugée inacceptable. Et il est évident qu’un taux aussi important que le Libor, référent utilisé dans des millions de produits financiers, ne pouvait pas continuer à être déterminé de façon aussi artisanale. Mais c’est le système en place qui était coupable, plutôt qu’une poignée d’individus aujourd’hui envoyés en prison.

Initialement d’ailleurs, seuls les régulateurs se sont emparés de l’affaire. Au Royaume-Uni, le Serious Fraud Office (SFO), chargé des enquêtes financières pénales, avait dans un premier temps refusé de s’en saisir. Tout a changé en 2012. Son nouveau directeur, David Green, a décidé d’en faire un exemple. Le SFO avait besoin de prouver son utilité : plusieurs dossiers qu’il menait s’étaient écroulés, et l’État voulait réduire son financement, voire le supprimer. David Green jouait donc gros avec le Libor. Les condamnations obtenues sont pour lui une victoire essentielle.

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