Péril sur le mariage des Bourses de Francfort et de Londres
Comment marier un groupe allemand avec un britannique au moment même où le Royaume-Uni divorce de l’Europe ? Les opérateurs boursiers Deutsche Börse et LSE veulent convaincre que leur union peut toujours avoir lieu, mais le Brexit jette le doute.
Quelques heures après le séisme provoqué par le résultat du référendum britannique en faveur d’une sortie de l’Union européenne, les opérateurs des Bourses de Francfort et de Londres se disaient toujours pleinement engagés pour mener à bien leur fusion. Mercredi encore, c’était au tour du président du conseil de surveillance de Deutsche Börse, Joachim Faber, d’enfoncer le clou. « C’est maintenant encore plus important qu’avant de maintenir des liens financiers stables avec le Royaume-Uni. […] Une Bourse née de la fusion LSE et Deutsche Börse peut jouer un rôle clé », a-t-il déclaré, promettant d’oeuvrer à la réalisation du projet de toutes ses forces.
Annoncée en mars, cette naissance d’un géant boursier mondial est censée se concrétiser en juillet, une fois obtenus tous les feux verts des actionnaires et des autorités, notamment de la Commission européenne et du superviseur boursier de l’État régional allemand de Hesse.
« Une décision difficile attend les directoires. Est-ce qu’ils continuent et prennent le risque d’un revers politique et des dommages qui vont avec, ou est-ce qu’ils annulent jusqu’à ce que l’horizon se dégage ? Mais le deuxième choix peut faire renaître un intérêt américain pour le LSE », résume John Colley, professeur à la Warwick Business School.
Le plan de départ prévoyait que ce futur concurrent frontal d’Euronext (Bourses de Paris, Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne) et de ICE (Bourse de New York notamment), soit dirigé par le patron de Deutsche Börse mais prenne la forme d’une holding britannique basée à Londres. Mais « il est difficilement imaginable que la plus importante place boursière dans l’espace européen soit dirigée hors de l’Union européenne », a prévenu le président de l’Autorité financière allemande (Bafin) Felix Hufeld, cité par l’agence allemande DPA. Le Bafin n’a toutefois qu’un rôle consultatif.
« Brexit ou pas, l’intérêt industriel de cette fusion reste valable. Mais il est vrai que si un accord n’est pas trouvé entre Deutsche Börse et LSE sur la question du siège, la fusion risque de ne pas passer. La localisation du siège est la question majeure en ce moment », confie à l’AFP une source financière francfortoise. L’État régional de Hesse, qui octroie une licence à Deutsche Börse pour opérer la Bourse de Francfort, devrait être réticent à l’idée que la capitale financière allemande puisse voir son poids diminuer à l’international.
Remise en question
Pour l’association allemande de petits actionnaires DSW, il ne fait pas un pli que le projet de fusion doit être « remis en question, fortement réajusté ou complètement enterré ». « Avec le Brexit, la fusion avec LSE devient encore plus improbable et moins attractive », conclut Thorsten Wenzel, analyste chez DZ Bank. Selon lui, un feu vert de Bruxelles et de la Hesse ne serait politiquement pas opportun et, vu la baisse de capitalisation boursière consécutive à la chute des marchés depuis vendredi, les actionnaires de Deutsche Börse n’ont pas intérêt à apporter d’ici à la date limite du 12 juillet leurs titres à cette offre tombant au mauvais moment.
Mais une renégociation rapide des termes de la fusion pourrait aussi permettre de surmonter l’obstacle. Un autre point qui se complique est le poids cumulé des deux fiancés dans l’activité de « clearing », les opérations de compensation qui sécurisent les transactions, un aspect que la France voyait déjà d’un mauvais oeil. Le patron de Deutsche Börse, Carsten Kengeter, avait assuré encore début juin que ces chambres de compensation ne seraient pas fusionnées, unifiant seulement leurs standards de fonctionnement. Un plan forcément en danger si LCH Clearnet, la chambre de compensation de LSE, ne peut plus assurer la sécurité des transactions en euros, comme l’a suggéré le président français, François Hollande, mardi.
Par deux fois déjà, Deutsche Börse et LSE ont dans le passé tenté de s’unir, sans succès.
