Faire des affaires au rythme des Antilles

Les entreprises canadiennes qui rêvent de prendre pied sur le marché cubain en prévision de la normalisation des relations de l’île avec les États-Unis doivent savoir que pareil défi ne sera pas une partie de plaisir, préviennent des habitués.
« Cuba n’est pas une destination pour exportateurs débutants. Ce n’est vraiment pas facile », a mis en garde mardi Veronica Acuña, conseillère en affaires internationales pour l’Amérique latine du ministère québécois de l’Économie, de la Science et de l’Innovation. L’experte s’adressait à plus de 150 hommes et femmes d’affaires venues assister à un séminaire organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) et intitulé Cuba : gardez une avance sur la concurrence.
Au rang des nombreuses difficultés que rencontrent les gens d’affaires étrangers à Cuba, Mme Acuña cite l’obligation de passer par toutes sortes d’agences gouvernementales et d’intermédiaires autorisés pour exporter ses produits ou engager de la main-d’oeuvre. Elle mentionne aussi les délais parfois très longs avant de se faire payer par les clients cubains, ou encore le « grand défi » de trouver du financement et du crédit à l’exportation vers Cuba auprès des agences et autres partenaires habituels au Canada. « La clé du succès est les PPP,a-t-elle dit, présence [sur le terrain], persévérance et patience. »
L’expert en droit commercial et associé chez Stikeman Elliot, Érik Richer La Flèche, ne s’est guère montré plus rassurant. Ce n’est pas la première fois que Cuba « est à la mode », a souligné l’avocat qui y est actif depuis 20 ans. Lorsque le pays a perdu son allié soviétique avec la chute du mur de Berlin, il avait aussi fait signe de s’ouvrir à l’étranger, mais avait refermé la porte tout de suite après s’être trouvé un nouvel ami dans le régime d’Hugo Chávez au Venezuela. Maintenant que ce nouvel ami lui fait faux bond à son tour, La Havane rentrouvre la porte. « Cuba se libéralise par nécessité. Le gouvernement cubain veut garder le contrôle et s’il sent qu’il lui échappe, il resserra sa poigne. »
Ceux qui veulent malgré tout se lancer en affaires à Cuba devront s’y trouver des partenaires locaux tous plus ou moins liés à l’État. Il sera alors important, conseille l’expert, de ne pas se laisser presser par les Cubains et de bien prendre son temps, au contraire, afin de comprendre les règles du jeu à Cuba, les véritables intérêts de ses partenaires et de laisser le moins de détails possible en suspens. « La signature d’un contrat n’est que la permission de poursuivre ce long dialogue »,explique Érik Richer La Flèche. Comme au Japon, en Corée ou en Chine, un contrat dont les termes ne conviennent plus peut facilement être déchiré.
De vraies occasions d’affaires
La professeure au Département de marketing de l’Université du Québec à Montréal Zandra Balbinot croit, quant à elle, en la détermination du régime cubain de faire du développement économique de l’île sa priorité et de plus s’ouvrir aux étrangers. Elle souligne cependant que les Cubains ne sont pas à la recherche seulement d’investisseurs, mais plutôt de partenaires et qu’ils n’ont aucune envie, non plus, de se faire critiquer pour leur choix des 60 dernières années ni de se faire dicter leur conduite future.
Les besoins et les occasions d’affaires sont nombreux, confirme-t-elle. Le pays peut compter sur plusieurs forces, dont une main-d’oeuvre éduquée, un niveau de développement humain élevé et un faible taux de criminalité. Il présente aussi plusieurs défis outre ceux déjà évoqués, dont le besoin de formation appliquée des travailleurs, leur faible maîtrise des langues étrangères, l’omniprésence de l’armée dans l’économie.
Le secret du succès est de prendre le temps de se mettre à l’écoute des Cubains et de forger avec eux de véritables liens de confiance, sont venu dire les quelques personnes d’affaires invitées à venir témoigner de leur expérience. « Je crois que je n’ai signé qu’un seul contrat durant toutes ces années. Tout le reste s’est réglé par de simples poignées de main », a affirmé Daniel Côté, président d’Ameublement Elvis et qui a vendu au fil des années à Cuba aussi bien des électroménagers d’occasion que des autobus et des bottes de l’armée canadienne.
« Les choses changent rapidement à Cuba, alors il faut rester très attentif, a noté Nancy Lussier, vice-présidente de l’exportateur de camions lourds Terracam et présidente de la Chambre de commerce et d’industrie Canada-Cuba. Il suffit parfois d’une petite modification à la loi pour rendre possible un projet d’affaires qui ne l’était pas jusque-là. »
Il faut se grouiller
Le début d’une lente normalisation des relations diplomatiques et économiques entre Cuba et les États-Unis stimule non seulement l’intérêt des milieux d’affaires canadiens, mais aussi américains, européens et asiatiques. « Il y a plein de monde sur le terrain en ce moment à Cuba », rapporte Nancy Lussier.
Le gouvernement du Québec a fait récemment de Cuba l’une de ses priorités économiques et envisage la possibilité d’y ouvrir une représentation permanente. Il compte entre autres sur les liens tissés à la faveur des relations diplomatiques jamais rompues entre le Canada et Cuba, mais aussi des marées de touristes qui se rendent chaque année dans l’île.
« Ce serait bien d’être là avant l’arrivée des Américains », a déclaré le président et chef de la direction de la CCMM, Michel Leblanc, qui prépare une mission commerciale vers Cuba.
« Il faut vraiment se grouiller », a lancé, plus directe, la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Christine St-Pierre.