Tricher pour mieux faire le bien

À l’heure actuelle, les organismes de bienfaisance doivent envoyer une déclaration annuelle à l’Agence du revenu du Canada, accompagnée de leurs états financiers.
Photo: Michaël Monnier Le Devoir À l’heure actuelle, les organismes de bienfaisance doivent envoyer une déclaration annuelle à l’Agence du revenu du Canada, accompagnée de leurs états financiers.

Les plus récentes recherches menées par une professeure de l’Université d’Ottawa mettent en lumière un problème de gouvernance encore peu documenté, mais lourd de conséquences : des organismes à but non lucratif (OBNL) gonflent artificiellement le pourcentage des dons qu’ils consacrent à leur mission première pour ne pas faire fuir les donateurs, ce que laissent faire certains conseils d’administration.

Qiu Chen, qui enseigne la comptabilité à l’École de gestion Telfer, s’est intéressée à ce sujet dans un article paru au début du mois de janvier dans la revue Recherche comptable contemporaine.

Citant des études réalisées depuis le début des années 2000, elle rappelle l’existence d’OBNL qui déclarent des dépenses administratives à titre de dépenses de programme, c’est-à-dire les sommes consacrées à la raison d’être de l’organisme. Ils agissent ainsi parce qu’ils savent que les donateurs se montrent généralement plus généreux envers les organismes qui dédient une part importante des dons reçus à la cause qu’ils soutiennent.

Placés devant une telle situation, les membres de certains conseils d’administration font preuve de laxisme, ajoute-t-elle. Ces administrateurs « comprennent que leur devoir fiduciaire consiste à la fois à surveiller les dirigeants et à collaborer avec eux pour amasser des fonds ».

« Dans de telles circonstances, les administrateurs se trouvent à compromettre leur rôle de surveillance afin d’aider les dirigeants à impressionner les donateurs », écrit-elle.

La professeure Chen s’est attardée plus spécifiquement à la réaction des administrateurs qui sont aux prises avec une divulgation financière douteuse en soumettant 189 membres de conseils d’administration à une telle situation. Elle a découvert qu’une plus grande transparence dans la déclaration des dépenses a pour effet de renforcer la surveillance des administrateurs, qui craignent que les donateurs ou d’autres intervenants soient mis au parfum du stratagème. La divulgation financière publique devrait donc devenir la norme parmi les OBNL, suggère Qiu Chen.

Enjeu de taille

 

« Il est clair que la reddition de compte et l’imputabilité ne sont pas suffisantes actuellement, acquiesce le directeur général de l’Institut sur la gouvernance, Michel Nadeau. Ces organismes-là, s’ils veulent conserver leur crédibilité et la confiance de la population, ils doivent être beaucoup plus transparents qu’ils ne le sont actuellement. »

À l’heure actuelle, les organismes de bienfaisance doivent envoyer une déclaration annuelle à l’Agence du revenu du Canada, accompagnée de leurs états financiers. Pour accroître la transparence, M. Nadeau aimerait que les organismes publient ces documents directement sur leur site Internet.

Concrètement, il privilégie la diffusion publique et systématique de trois types de documents : la liste des membres du conseil d’administration avec leur description, le rapport d’activités de l’organisme et les états financiers.

La gouvernance des OBNL constitue selon lui un enjeu de taille qui mérite plus d’attention. Après tout, soutient-il, les gouvernements dépensent chaque année des centaines de millions de dollars pour appuyer des organismes qui oeuvrent dans les domaines de la santé, de la culture, de l’éducation ou du sport, mais sans nécessairement avoir la certitude que cet argent est utilisé à bon escient.

« Je connais des villes où il y a une procédure rigoureuse d’appel d’offres, raconte M. Nadeau. Une ville donne par exemple un contrat de 25 000 $ par appel d’offres public, c’est très sévère, on ne passe pas à côté. Par contre, la même ville donne 250 000 $ à sa fédération de hockey mineur et le président de cette fédération envoie un chèque de 100 000 $ à un de ses amis pour acheter les chandails de hockey, sans aucun appel d’offres. » Et des cas comme ceux-là, jure-t-il, ne sont pas isolés.

Michel Rioux, un associé en audit chez Deloitte qui travaille depuis près de 20 ans auprès d’OBNL, voit les choses différemment. « La bonne gouvernance des OBNL est un sujet qui a pris beaucoup d’importance au cours des dernières années, affirme-t-il. Ce que je vois dans le marché, ce sont des organismes qui veulent bien faire les choses et qui veulent s’améliorer. »

Sa collègue Chantal Rassart, associée en gestion du savoir, admet cependant que le recrutement d’administrateurs chevronnés représente un important défi. « Les conseils d’administration sont souvent de petits groupes. Il faut s’assurer d’avoir une variété de connaissances et d’expertises, ce qui n’est pas toujours évident à trouver. »

« Ce que l’on voit, c’est que les organismes font tout ce qui est en leur pouvoir pour respecter les demandes des donateurs, conclut M. Rioux. Parce que s’ils ne le font pas, c’est leur crédibilité qui s’envole. »

Il est clair que la reddition de compte et l’imputabilité ne sont pas suffisantes actuellement. Ces organismes-là, s’ils veulent conserver leur crédibilité et la confiance de la population, ils doivent être beaucoup plus transparents qu’ils ne le sont actuellement.

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