Le marché du travail dans le monde se dégrade

Chaque année, à l’occasion de la sortie de son rapport sur l’emploi dans le monde, l’Organisation internationale du travail (OIT) alerte sur la gravité et la durée de la crise, et annonce de nouveaux chômeurs. En vain, car la situation ne change guère. L’édition 2016, publiée le mardi 19 à Genève, prédit 2,3 millions de sans-emploi supplémentaires en 2016, pour venir flirter avec le seuil des 200 millions de personnes (199,4 millions), soit 30 millions de plus qu’avant la crise de 2007. Pour 2017, l’OIT prévoit 1,1 million de chômeurs supplémentaires.
L’OIT, qui regroupe les représentants des gouvernements, du patronat et des syndicats des 186 États membres, décrit un nouveau péril : la relative faiblesse de la croissance mondiale, à 3,1 % en 2015 (soit « un demi-point de pourcentage de moins que les projections faites un an plus tôt »), qui s’explique par un net ralentissement dans les émergents.
« Le marché de l’emploi n’en a pas fini avec les conséquences de la crise économique. Le monde du travail va devoir faire face à la détérioration de la situation dans les pays émergents et à la baisse du prix des matières premières », a expliqué au Monde le directeur général de l’OIT, Guy Ryder.
Plus de chômeurs et de précaires
Selon le rapport annuel de l’Organisation internationale du travail, le nombre de sans-emploi tutoiera la barre des 200 millions en 2016. Pour Raymond Torres, directeur du département de la recherche à l’OIT et responsable du rapport sur l’emploi, « le rapport se veut plus alarmiste que les éditions précédentes, parce que la crise dure et que le retournement dans les pays émergents est violent, alors que les amortisseurs sociaux, qui avaient joué un rôle important dans les économies occidentales, y sont plus faibles ».
Alors que les pays émergents avaient été moins touchés que les économies développées par la crise économique mondiale des années 2007-2008, ils connaissent aujourd’hui un fléchissement de leur activité. Au contraire des économies avancées qui ont vécu une croissance de l’emploi supérieure aux prévisions, notamment aux États-Unis et dans certains pays d’Europe du Nord et d’Europe centrale, les taux de chômage restant toujours élevés en Europe du Sud. La forte baisse du prix des produits de base, notamment ceux liés à l’énergie, a une incidence forte sur certaines économies. « Il semblerait que la situation de l’emploi dans [surtout la Chine] ainsi que dans un certain nombre de pays arabes exportateurs de pétrole, se soit aggravée ces derniers mois », expliquent les auteurs du rapport. Sans parler de la Russie et du Brésil, qui sont entrés dans une phase de récession.
Les femmes plus touchées
En Chine, les politiques de soutien de la demande intérieure, par une politique de crédit à la consommation et à l’immobilier ainsi que par l’extension de la protection sociale, trouvent leurs limites, selon Raymond Torres. « Le coeur même de l’activité économique, la création d’emplois et la politique salariale, est touché et la Chine n’est plus en mesure de stimuler la demande par le crédit », avance-t-il. En 2015, pour la première fois en 25 ans, la croissance chinoise est tombée en dessous de 7 %.
La croissance de l’emploi en Amérique latine, qui était dans les années 2000-2007 de l’ordre de 2,5 % en moyenne annuelle, a fléchi pour n’être plus que de 1,5 % en 2015. En 2016, elle pourrait n’atteindre que 1,2 %. « La détérioration se constate en nombre d’emplois créés et aussi dans la qualité de ces emplois », relève l’organisation internationale.
Car, et c’est le deuxième point sur lequel insiste le rapport, la précarisation de l’emploi ne cesse de progresser. Elle concernerait 1,5 milliard de personnes, soit plus de 46 % de l’emploi total. En Asie du Sud et en Afrique subsaharienne, plus de 70 % des travailleurs occupent un emploi vulnérable. « La pénurie d’emplois décents pousse les gens à se tourner vers l’emploi informel qui se caractérise habituellement par une faible productivité, une maigre rémunération et aucune protection sociale. Cela doit changer », explique Guy Ryder. Les femmes connaissent 25 % à 30 % de risques supplémentaires d’occuper un emploi vulnérable dans certains pays de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne.
Dans les économies avancées, si le taux de chômage doit baisser pour se stabiliser aux niveaux en vigueur avant la crise, en revanche le sous-emploi devrait augmenter : travail temporaire ou travail à temps partiel subi, faibles taux d’activité, notamment chez les femmes et les jeunes.
Bombe à retardement
Pour désamorcer ce que les auteurs du rapport appellent une « bombe à retardement », « il faut absolument renforcer les politiques en matière d’emploi et commencer à réduire les inégalités », insiste M. Ryder. Outre le renforcement des institutions du marché du travail, l’OIT appelle à éviter toute nouvelle baisse du prix des produits de base qui « risquerait d’aggraver la situation budgétaire des grands exportateurs de ces produits ». En outre, « les coupes budgétaires massives opérées par ces économies — émergentes — auraient des effets collatéraux préjudiciables et aggraveraient les conditions du marché du travail », écrivent les auteurs du rapport. Il faut, à l’inverse, profiter des taux d’intérêt historiquement bas pour financer les projets d’infrastructure « sans grever trop lourdement les deniers publics ».
L’organisation internationale rappelle enfin la nécessité d’une réforme financière — maintes fois annoncée —, afin que les banques remplissent bien leur rôle, « à savoir acheminer les ressources vers l’économie réelle et les injecter dans les investissements qui concourent au développement des entreprises durables et à la création d’emplois ».