Panique à Pékin

Les dirigeants d’entreprise chinois constatent que plus aucun d’entre eux n’est à l’abri d’une arrestation, ce qui crée beaucoup d’inquiétude.
Photo: Johannes Eisele Agence France-Presse Les dirigeants d’entreprise chinois constatent que plus aucun d’entre eux n’est à l’abri d’une arrestation, ce qui crée beaucoup d’inquiétude.

L’énigmatique disparition du patron du conglomérat chinois Fosun a récemment avivé les angoisses des grands dirigeants d’entreprises privées du pays, longtemps persuadés d’être à l’abri des enquêtes anticorruption du Parti, et illustre un système où réussite économique et relations avec le pouvoir restent inextricablement liées.

Le milliardaire Guo Guangchang, président de Fosun — l’une des plus grosses firmes privées chinoises —, est une figure emblématique des milieux d’affaires chinois. La nouvelle il y a une semaine que son entreprise n’arrivait plus à le joindre a fait l’effet d’un coup de tonnerre, d’autant que la presse évoquait son arrestation.

Fosun a finalement annoncé que M. Guo ne faisait que « collaborer » à une enquête des autorités, suggérant que lui-même n’était pas visé, et le milliardaire de 48 ans a refait surface lundi à une réunion de travail. Mais il n’est pas réapparu en public depuis, et ni Fosun, ni les autorités ne souhaitent préciser sa situation. Guo Guangchang, dirigeant d’un conglomérat privé et amateur assidu de taï-chi, une gymnastique traditionnelle chinoise, avait une réputation de probité morale et exprimait un soutien sans faille au Parti communiste : ce qui en faisait a priori une cible bien improbable.

Du coup, l’épisode « a clairement affolé les gens, car Guo était une figure extrêmement respectée », confie à l’AFP Kellee Tsai, experte de la Hong-Kong University of Science and Technology en contact régulier avec des entrepreneurs chinois.

Certes, il n’est pas rare en Chine d’apprendre la « disparition » de responsables publics ou de dirigeants d’entreprises avant l’annonce formelle d’une enquête de la police, de régulateurs ou de la puissante autorité anticorruption du Parti. Mais à l’ample campagne contre la corruption lancée depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, s’ajoute ces derniers mois une vaste offensive dans le secteur financier, Pékin cherchant à faire le ménage après la spectaculaire débâcle des Bourses chinoises cet été.

Des dirigeants de grandes maisons de courtage comme Citic Securities ont été arrêtés, et un responsable de Guotai Junan, autre firme de courtage, a été porté « disparu » le mois dernier.

« Guo ou ses pairs ne peuvent pas raisonnablement penser qu’ils peuvent échapper aux interrogatoires concernant les informations qu’ils détiennent ou leur comportement », souligne Derek Scissors, expert de l’American Enterprise Institute. Le Parti est présent dans leurs entreprises, et il leur faut être très politiquement connectés pour assurer le succès de leurs affaires, ce qui en fait parfois — comme pour Guo — des « figures d’un rang équivalent à celui des responsables gouvernementaux », explique-t-il.

Pour autant, la « disparition » de Guo semble briser l’entente tacite entre le gouvernement et les audacieux entrepreneurs qui oeuvrent à la croissance de la deuxième économie mondiale. « Tant que vous ne commettez pas d’erreur et que vous vous tenez tranquille, le gouvernement ne s’en prendra pas à vous », avait écrit l’an dernier M. Guo lui-même.

Mais en Chine, le système fait qu’il est presque impossible de garder les mains totalement propres, avertissent les spécialistes. Étant donné le poids persistant de groupes étatiques mastodontes, qui dominent des pans de l’industrie et de l’économie, toutes les grandes entreprises dépendent dangereusement des bonnes dispositions des autorités. « Ce modèle chinois est basé sur les collusions entre politiques et hommes d’affaires, ce qui conduit inévitablement les hommes d’affaires à être visés par des enquêtes », souligne Hu Xingdou, professeur au Beijing Institute of Technology.

Fosun contrôle un large portefeuille de propriétés immobilières à Shanghai, ancienne place forte de l’ancien président Jiang Zemin, dont Xi semble précisément cibler les proches. Et quand Wang Zongnan, patron de la chaîne de distribution Bailian, basée à Shanghai, a été condamné en août à 18 ans de prison pour détournement de fonds et corruption, le verdict du tribunal avait mentionné ses relations avec M. Guo.

Enfin, l’opacité du système judiciaire, soumis aux décisions du pouvoir politique, ne contribue guère à rassurer. « Cela donne l’impression que, une fois que les autorités vous ont emmené, votre sort est déjà pratiquement scellé », commentait dans un microblog Han Bing, un avocat d’affaires. « Les menottes de la police sont déjà un verdict. »

« Les critères justifiant l’ouverture d’enquêtes sont flous », abonde Mme Tsai. « Si je faisais partie de ces grands p.-d.g., je me demanderais : suis-je à l’abri ? suis-je le prochain sur la liste ? »



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