Famille et entreprise, un mariage pas si malheureux

Les défis que représente la conciliation travail-famille ne seraient pas un frein aussi important qu’on pourrait le croire pour les entrepreneures. C’est du moins ce que révèle une nouvelle étude menée par un professeur de l’Université d’Ottawa, dont les conclusions étonnent grandement le Réseau des femmes d’affaires du Québec.
Professeur à l’École de gestion Telfer de l’Université d’Ottawa, Laurent Lapierre s’intéresse depuis plusieurs années au lien entre les obligations familiales et professionnelles. Dans le cadre d’une recherche récente, il a en quelque sorte mis à l’épreuve les conclusions d’études réalisées jusqu’à maintenant, qui suggèrent que les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’être influencées par les questions familiales lorsqu’elles prennent des décisions au sujet du développement de leur entreprise.
En collaboration avec l’étudiante à la maîtrise Ruoxi Xia, il s’est attardé plus précisément à deux facteurs : les conflits travail-famille et l’enrichissement travail-famille, qu’on observe par exemple lorsque des compétences ou des connaissances acquises à la maison sont utiles dans un cadre professionnel.
Le professeur s’est demandé si les entrepreneures qui connaissent moins de conflits travail-famille et plus d’enrichissement travail-famille sont davantage portées à développer leur entreprise. Il a donc fait remplir un questionnaire en ligne à 116 femmes qui sont propriétaires (ou copropriétaires) et exploitantes d’une entreprise de moins de 500 employés, et qui ont des « obligations familiales ». Cela veut dire qu’elles ont au moins un enfant d’âge scolaire, qu’elles vivent avec un partenaire ou qu’elles prennent soin d’un aîné ou d’un proche chaque semaine.
Les résultats de son enquête vont à l’encontre de plusieurs écrits. Sa collègue et lui n’ont observé que « peu de liens entre les situations de conflits travail-famille ou d’enrichissement travail-famille vécues par les femmes entrepreneures et leurs intentions de développer leur entreprise », indique un résumé de la recherche.
L’étude a cependant démontré que les femmes sont plus enclines à faire croître leur entreprise si les personnes importantes dans leur vie, qu’il s’agisse de membres de la famille ou de partenaires d’affaires, les encouragent à aller de l’avant.
« Très surprise »
« Je suis très, très surprise d’entendre ça, parce que ce n’est pas le reflet de ce que j’entends dans ma vie de tous les jours. À la fois avec celles qui veulent se lancer en affaires et celles qui ont démarré leur entreprise », lance la présidente-directrice générale du Réseau des femmes d’affaires du Québec (RFAQ), Ruth Vachon, qui représente près de 2000 membres.
Dans un rapport dévoilé en octobre dernier par la Banque de Montréal, la moitié des entrepreneures interrogées avaient également établi la nécessité de faire vivre leur famille jusqu’à ce que leur entreprise soit rentable comme l’un des principaux défis qu’elles avaient eu à relever au moment de se lancer en affaires.
Mme Vachon admet qu’une femme qui a la « fibre entrepreneuriale » depuis toujours ne craindra sans doute pas de lancer, puis de développer son entreprise. « Mais quelqu’un qui n’est pas certain de son choix va hésiter longtemps », juge-t-elle.
La dirigeante du RFAQ ne manque pas d’exemples : les jeunes femmes qu’elle rencontre se demandent si elles pourront avoir des enfants sans mettre en péril leur entreprise en démarrage et, si oui, à quel moment. Mme Vachon constate aussi que la nouvelle génération d’entrepreneures n’a pas les mêmes priorités que les précédentes.
« Nos jeunes ne veulent pas réussir de la même façon que nous avons réussi. Ils ne veulent pas nécessairement avoir des multinationales et veulent avoir des vies équilibrées », dit-elle. Il faut donc les soutenir sur le plan financier, mais surtout leur donner des outils et des conseils pour « faire face aux marchés ».
La bonne nouvelle pour les femmes d’affaires en devenir, c’est qu’un changement de culture plus général semble gagner le niveau politique, remarque Ruth Vachon. Celle-ci a été ravie d’entendre le premier ministre Justin Trudeau parler de conciliation travail-famille lors de la dernière campagne électorale fédérale, ou encore de parité hommes-femmes au moment de dévoiler la composition de son Conseil des ministres.
« Il y a un équilibre qui est en train de prendre forme, par les discours qu’on entend », note-t-elle, réclamant au passage davantage d’« outils » pour les entrepreneures d’aujourd’hui et de demain.