La pilule ne passe simplement pas

Thierry Haroun Collaboration spéciale

Ce texte fait partie du cahier spécial Syndicalisme

«Pacte fiscal 2016-2019 : une attaque frontale contre le droit à la négociation » : tel était le titre qui coiffait un communiqué commun signé en septembre dernier par le Syndicat canadien de la fonction publique au Québec (SCFP) et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), à la suite de la décision du gouvernement d’accorder aux villes le droit d’imposer les conditions de travail à leurs employés dans le cas où les parties n’aboutissent pas à une entente négociée.

« Nous invitons les élus municipaux du Québec à étudier avec grande prudence ce nouveau cadeau empoisonné du ministre Moreau. Le gouvernement du Québec coupe les vivres aux municipalités et leur offre en retour des armes pour taper sur leurs employés, encore une fois. Cette guerre affaiblirait les villes de multiples manières, notamment en rendant très difficiles le recrutement et la rétention de la main-d’oeuvre. Bref, c’est encore une déclaration de guerre de ce gouvernement contre les services publics », avait déclaré Marc Ranger, directeur adjoint du SCFP.

« La rémunération des employés municipaux est absolument compétitive par rapport au secteur privé et à l’industrie de la construction. Les négociations dans le secteur municipal fonctionnent très bien : 84 % des conventions collectives sont présentement réglées, et environ 98 % d’entre elles sont signées sans conflit de travail. Le rapport de force est équilibré dans ce secteur. Le gouvernement joue avec le feu avec cette nouvelle attaque frontale contre les services publics », de renchérir Daniel Boyer, président de la FTQ.

Est-ce que le ton a changé depuis ? « Non, le ton est le même », confirme Serge Cadieux, le secrétaire général de la FTQ, qui en avait long à dire sur cette pilule qui ne passe tout simplement pas. « Écoutez, il n’y a pas de projet de loi de déposé encore, alors on ne sait pas comment tout ça va s’articuler. Mais il y a une chose qu’il est important de soulever, monsieur, c’est que cette décision est sans précédent. Que le gouvernement accorde le droit aux municipalités de décréter les conditions de travail à leur guise… Écoutez, même le gouvernement du Québec ne s’est pas accordé ce droit avec les employés de l’État. Il le fait toujours par une loi spéciale, mais dans la mesure où il invoque des motifs d’urgence », rappelle M. Cadieux.

Ce dernier se demande par la même occasion si le gouvernement « suit l’actualité ». C’est-à-dire ? « Il y a des décisions récentes rendues par la Cour suprême du Canada qui sont venues constitutionnaliser le droit de négocier et le droit de grève. À partir du moment où on donne le droit aux municipalités d’imposer une convention collective, ça veut dire qu’on empêche les travailleurs et les travailleuses d’exercer leur droit de grève. »

En résumé, c’est la catastrophe annoncée quant aux relations de travail. « En fait, dit-il, le résultat d’une telle décision aura pour conséquence de débalancer totalement le rapport de force des parties en présence. Il faut comprendre que le Code du travail a été fondé sur l’exercice du rapport de force entre les parties. Vous savez, ce qui fait évoluer les parties pendant un processus de négociation, c’est le fait que les travailleurs peuvent décider d’exercer des moyens de pression pouvant mener jusqu’à une grève en privant l’employeur de poursuivre ses activités normales. Et, de l’autre côté, l’employeur peut mettre ses employés en lockout. Ça, ça fait réfléchir les deux parties et mène à la signature d’une convention collective. »

Une approche tordue

 

Analysant le Pacte fiscal dans son ensemble, Serge Cadieux en vient à la conclusion que cette clause, qui est incluse dans cette entente de 3,2 milliards de dollars, n’est pas étrangère à la décision de Québec de maintenir toutefois les coupes de 300 millions de dollars par année aux municipalités pendant la durée de ce pacte. « Le Québec retire du financement aux municipalités, mais, de l’autre côté, il leur dit ceci : “Je vais vous donner l’autorisation de récupérer les sommes en diminuant les conditions de travail de vos employés. Vous allez pouvoir imposer le contenu des conventions collectives. Donc, si vous manquez d’argent, vous n’avez qu’à diminuer votre masse salariale.” »

Si tel était vraiment le cas, c’est tordu comme approche, n’est-ce pas ? « Oui. Écoutez, moi, j’ai trente ans de pratique en droit, et je n’ai jamais vu ça ! Ça n’existe nulle part au Canada », fait valoir M. Cadieux, qui précise que, le cas échéant, cette clause sera contestée devant les tribunaux.

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