À l’abri du fisc, le soleil en prime

La Barbade prélève un impôt presque symbolique de 2,5 % sur les entreprises étrangères qui s’y établissent et qui exportent leur production.
Photo: Jewel Samad Agence France-Presse La Barbade prélève un impôt presque symbolique de 2,5 % sur les entreprises étrangères qui s’y établissent et qui exportent leur production.

De l’argent « noir » sous le sable blanc de la Barbade ? De la fraude ? De l’évasion fiscale ? Du secret et de l’opacité, dans cet ancien repaire de pirates, cet îlot de corail mouillé en mer des Caraïbes, entre Sainte-Lucie au nord et Saint-Vincent-et-les-Grenadines, à l’ouest ?

D’un ferme revers de main, Donville Inniss balaie les doutes du visiteur. « Ici, vous ne trouverez ni boîtes aux lettres fiscales ni prête-noms. Les entreprises que nous attirons sont bien réelles, avec de la substance économique et de vrais emplois sur notre territoire », assène le ministre de l’Industrie et du Commerce international, en caressant le cuir du large fauteuil de l’hôtel Hilton où il a ses habitudes. « Les sociétés-écrans, les coquilles vides… ça, on ne fait pas ! »

L’entretien a pour toile de fond un décor de rêve, avec cocotiers effilés et eaux turquoises, et un ballet étrangement contrasté de gens d’affaires pressés et de riches touristes anglais flegmatiques, auquel le ministre ne prête aucune attention. Il s’emploie à convaincre : « Nous sommes une juridiction transparente, avec un modèle économique structuré et solide. On ne vient pas ici pour frauder le fisc, poursuit Donville Inniss, mais pour payer moins d’impôts, doper les affaires et la croissance, pour le plus grand bénéfice de tous. Y compris des Barbadiens. »

Hôte, du 28 au 30 octobre, du huitième sommet du Forum global sur la fiscalité — ce club de 129 pays rattaché à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), consacré à la transparence et la coopération fiscales — la Barbade entend faire sa promotion.

Les paradis fiscaux des Caraïbes sont décriés ? Perçus comme des lessiveuses pour l’argent de la fraude et du crime, sur le modèle de Saint Kitts et Névis et d’Anguilla ? Des trous noirs de régulation où s’évaporent des milliards de dollars d’impôts ? La Barbade, indépendante depuis 1966 après 300 ans de domination britannique, revendique pour sa part un statut de paradis « propre », qui ouvre ses livres et échange ses informations avec les États lorsqu’il le faut. Si ce micro-État pratique une fiscalité « cassée » pour les entreprises étrangères s’y établissant et exportant toute leur production — un impôt sur leurs bénéfices de 2,5 % contre 25 % pour les entreprises nationales — c’est, arguent ses dirigeants, dans le cadre de lois et de règles claires et transparentes, connues de tous.

« Nous avons un système fiscal. Il n’est pas fait pour encourager l’évasion de capitaux, mais pour aider les pays et les entreprises à se développer », résume Donville Inniss. L’île a bâti et développé, depuis plus de trente ans, un réseau de traités fiscaux et d’investissement bilatéraux avec des pays comme le Canada et la Chine, afin de limiter l’impôt dû par les multinationales, protéger leurs avoirs et favoriser le commerce et l’investissement.

« Pas de domiciliation fictive »

Pour bénéficier de ces traités, une condition est posée : les sociétés doivent localiser à la Barbade une partie de leurs activités (fabrication, ventes, services clients…). C’est ainsi qu’une société canadienne y sera imposée à 2,5 % sur ses profits mondiaux, si elle domicilie dans l’île son département marketing. Ses profits seront ensuite rapatriés à Ottawa sous la forme de dividendes défiscalisés. Un joli jackpot.

Propre et transparente, la Barbade ? « Vous voulez du concret ? OK, je vous emmène. Ici, rien n’est caché », lance, bravache, Rob Ireland, canadien de son état et président d’une société qui promeut l’île auprès des investisseurs de son pays. « Les Îles vierges britanniques affichent un million de sociétés offshore pour moins de 30 000 habitants. Ici, c’est 4000 compagnies pour 280 000 habitants, lance-t-il en s’engouffrant dans sa voiture. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Il n’y a pas de domiciliation fictive. »

Imperméable aux récents scandales de fraude fiscale et à la critique des ONG qui dénoncent un système d’évasion préjudiciable vers les Caraïbes, il cite une contre-étude d’un professeur à l’Université Rotman de Toronto, Walid Hejazi, selon laquelle la Barbade représenterait, pour le Canada, un surplus d’exportations annuel substantiel, en même temps qu’un important pourvoyeur d’emplois.

La voiture de Rob Ireland traverse la capitale, Bridgetown, tranquille bourgade typique de l’architecture coloniale, où les banques internationales présentes dans l’île se fondent dans le paysage. Puis file en direction de l’aéroport international de Grantley-Adams, près duquel se sont installées la plupart des entreprises internationales enregistrées sur l’île. Des groupes canadiens, américains ou sud-américains y ont domicilié des métiers très divers (fabrication, ventes et marketing, recherche…). Ian Hickling nous ouvre les portes de Lenstec, l’entreprise américaine dont il est le p.-d.g. Son siège est à Miami, mais il a choisi de domicilier dans l’île la fabrication de lentilles utilisées comme implants dans des opérations de la cataracte. Un succès commercial.

Dans l’entrée, cinquante cartons sont en partance pour Pékin. Chaque année, un demi-million de lentilles sortent de l’usine équipée de « labos » flambant neufs et d’un matériel de haute technologie, destination les États-Unis, l’Asie, l’Europe… 50 pays au total.

« Je suis néo-zélandais, mon associé français, mais nos 210 employés sont à 100 % barbadiens, dit l’entrepreneur. On bénéficie ici d’un niveau de formation très élevé et de bonnes infrastructures. Notre croissance explose. C’est un endroit incroyable. » De retour à Bridgetown, l’avocat Trevor Austin Carmichael, figure locale et mémoire vivante de l’île, artisan du développement du centre d’affaires international depuis trente ans, en explique à son tour les bienfaits pour l’économie locale.

« Ce que vous voyez, dit-il, est le produit de l’histoire d’un pays qui s’est construit une stratégie autonome. Nous nous différencions des autres centres financiers caribéens par notre philosophie fondée non pas sur le zéro impôt et les volumes à tous crins, mais sur un impôt faible encadré par de grands traités internationaux. »

En somme, la Barbade serait un paradis fiscal « éthique », assumant à plein la compétition fiscale, mais dans les règles. Une définition accommodante, qui oublie que ce micro-État reste une porte d’accès vers le monde nébuleux de l’offshore. Y compris vers des paradis fiscaux moins régulés en termes de lois anti-blanchiment et moins scrupuleux…

Nous avons un système fiscal. Il n’est pas fait pour encourager l’évasion de capitaux, mais pour aider les pays et les entreprises à se développer.

À voir en vidéo