Le syndrome de la «roulette»

Fenwick McKelvey, professeur au Département de communication de l’Université Concordia
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Fenwick McKelvey, professeur au Département de communication de l’Université Concordia

Année après année, le Canada tire de l’arrière en matière de connectivité à l’Internet parmi les pays industrialisés. Cette piètre performance a pour effet non seulement de mettre à l’épreuve la patience des utilisateurs, mais aussi de freiner l’innovation de certaines entreprises. Conscient de ce retard, mais surtout du manque d’informations disponibles, un professeur de l’Université Concordia a choisi de s’allier à un important projet de collecte de données qui pourrait permettre de renverser la tendance.

Tout le monde sait de quoi il s’agit. Cette petite roulette qui apparaît à l’écran pour nous indiquer de patienter pendant qu’on navigue sur Internet est le symbole d’un symptôme qui affecte particulièrement le Canada.

Une étude dévoilée en début d’année par la firme Akamai, une référence en matière de calcul des vitesses de transmission de données, révèle que le Canada se classe au 21e rang mondial, derrière des pays asiatiques comme la Corée du Sud ou le Japon, mais aussi la Suisse, l’Irlande ou encore la République tchèque.

Concrètement, la vitesse moyenne de transmission au Canada se situe à 10,3 mégabits par seconde (Mb/s), comparativement à 11,5 Mb/s aux États-Unis et à 25,3 Mb/s en Corée du Sud, qui occupe le premier rang du classement d’Akamai.

L’étude d’Akamai indique également que 14 % de la population canadienne a accès à une vitesse de transmission de données en ligne supérieure à 15 Mb/s, ce qui est bien en deçà des taux enregistrés aux États-Unis (19 %), en Suède (29 %) ou en Corée du Sud (66 %). Sans oublier que les Canadiens paient leur accès Internet plus cher que dans plusieurs autres pays.

Nouveau test

 

Le professeur au Département de communication de l’Université Concordia Fenwick McKelvey a décidé de s’attaquer à ce problème en participant à un projet coordonné par l’Association canadienne pour les enregistrements Internet, un organisme qui gère le nom de domaine « .ca » au Canada.

Cette collaboration a permis de lancer en mai dernier un nouveau test de performance, qui permet à tous les Canadiens de mesurer en ligne la vitesse et la qualité de transmission de leur connexion Internet.

« Il n’y a pas beaucoup d’informations disponibles au Canada et c’est un problème, explique M. McKelevey, un jeune professeur qui s’intéresse depuis près de 10 ans à l’évolution d’Internet et à son impact sur nos vies. J’espère que ce test va nous permettre d’obtenir un large éventail de données fiables. »

Le test s’effectue en quelques clics, mais ses résultats constituent une mine d’or d’informations pour tout chercheur. Un internaute peut mettre sa connexion à l’épreuve et connaître son rendement en quelques secondes, qu’il se trouve à Montréal, à Vancouver ou au Nunavut.

En cinq mois, plus de 110 000 tests de connexion ont été réalisés, ce qui a permis de créer une carte interactive sur laquelle on peut comparer la performance des connexions Internet d’un océan à l’autre.

« Les tests permettent d’analyser les systèmes en place grâce à l’appui des Canadiens. On doit les faire participer pour comprendre les systèmes qui les affectent tous les jours, parce que ces systèmes sont complexes et étendus », note le professeur de l’Université Concordia.

Saisir le présent

 

Ce projet illustre bien la manière avec laquelle Fenwick McKelvey perçoit son travail. Dans un domaine où tout change extrêmement vite, il tente de comprendre la réalité technologique dans laquelle nous baignons aujourd’hui pour être en mesure de saisir ce qui suivra.

« Je dis à mes étudiants qu’il est important de réaliser que nous vivons dans des années intéressantes parce qu’on peut avoir un impact sur le futur, dit-il. Le but, c’est de trouver la façon d’intervenir et, si possible, de changer les choses. »

Pour lui, cette théorie s’exprime de plusieurs façons. En plus des recherches qu’il mène sur la performance des services Internet, il s’interroge sur l’influence de ce canal d’information sur notre quotidien, comme citoyen ou comme client.

« C’est intéressant d’observer à quel point de grandes entreprises comme Facebook appuient leur modèle d’affaires sur la manière avec laquelle nous utilisons Internet, insiste-t-il. Il ne faut pas être trop pessimiste, mais on ne peut pas ignorer l’influence que ces entreprises ont sur nos interactions. »

Pour cet ancien conseiller en communication d’une compagnie immobilière, l’objet d’étude est à la fois très abstrait et très concret. Il se penche notamment sur l’influence des algorithmes qui filtrent les informations que nous recevons comme internautes et qui structurent l’Internet en entier.

Le but ultime, explique-t-il, est de se rapprocher le plus possible d’un Internet neutre (« Net neutrality »), c’est-à-dire d’un réseau libre, à l’abri de l’influence des grandes compagnies et des fournisseurs de services.

« Il y a une certaine reconfiguration de l’Internet qui est en train de se produire avec des biais qui institutionnalisent certaines formes de pouvoir. Il est important de suivre ce débat pour éviter que les fournisseurs de services aient trop de poids dans cette évolution. »

Heureusement, note-t-il, le dialogue est bien établi avec plusieurs entreprises et le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) déploie beaucoup d’efforts pour encadrer ce secteur en ébullition.

« Nous ne devons pas avoir peur, mais nous devons être critiques, conclut-il. Nous parlons souvent du pouvoir des médias, en évoquant par exemple la concentration de la presse. Les mêmes questions s’appliquent aux grandes entreprises qui n’ont pas nécessairement une influence directe sur ce qu’on dit et ce qu’on pense, mais à tout le moins sur la manière avec laquelle nous interagissons. »

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