Les industriels en font maintenant leur affaire

Avec 200 jours à écouler avant la COP21, la conférence de Paris sur le climat, les entreprises ont relevé le défi que leur avait lancé en septembre 2014 le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Ban Ki-moon, en pressant le secteur privé de s’engager dans la lutte contre le dérèglement climatique. Les patrons de grands groupes mondiaux, réunis mercredi et jeudi au siège parisien de l’UNESCO, se sont déclarés prêts à oeuvrer en faveur d’une économie bas carbone et à travailler en bonne intelligence avec les gouvernements, tout en réclamant à ces derniers la fixation d’un prix pour le carbone.

Le Sommet pour les entreprises et le climat, auquel plusieurs centaines d’entrepreneurs ont participé, a d’abord montré, comme l’a observé d’emblée Brice Lalonde, conseiller spécial pour le développement durable, que « le climat avait changé dans les entreprises ». Qui eût imaginé, il y a encore quelques années, que des dirigeants de compagnies pétrolières et gazières puissent un jour plaider en faveur du climat — une question longtemps tenue pour négligeable — ou affirmer avec Jean-Pascal Tricoire, le patron de Schneider, qu’« écologie rime avec économie » ?

L’ampleur de la conversion des chefs d’entreprises a de quoi surprendre. Elle irrite, non sans raison, une partie de la société civile. Les Amis de la Terre et Oxfam ont ainsi rappelé dans un rapport rendu public mercredi que les centrales à charbon d’EDF et d’Engie émettaient chaque année respectivement plus de 69 et 81 millions de tonnes de CO2. « Les émissions de CO2 provoquées par les centrales de ces deux entreprises, dont l’État est actionnaire, équivalent à la moitié des émissions de la France », a précisé Malika Peyraut pour l’association écologiste, dans un communiqué publié avec ATTAC France et les JEDI for Climate et intitulé Le climat, c’est pas vos affaires. Un point de vue balayé d’un revers de la main par un participant au Sommet de Paris : le secteur privé « pèse plus de 60 % du PIB mondial. On ne pourra pas faire sans nous. »

Le changement d’état d’esprit des chefs d’entreprise n’est pas qu’une affaire de mode ou de « politiquement correct ». Au-delà des discours de circonstances, de nombreuses entreprises font évoluer leurs pratiques. Saint-Gobain investit dans la RD pour réduire sa consommation d’énergie et limiter ses émissions de gaz à effets de serre. L’Oréal entend que ses produits aient tous, d’ici 2020, « une empreinte positive » sur l’environnement. Cez, un groupe tchèque d’énergie intégré, est décidé à produire de l’énergie neutre, sur le plan du carbone, dans les cinq ans qui viennent. Total va investir dans le solaire et le biodiésel. Kering partage ses pratiques pro-environnementales avec plus de 90 % de ses fournisseurs. Nike découvre que les contraintes environnementales favorisent l’innovation…

Invité à clore ces deux jours de réunion, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, s’est déclaré « raisonnablement optimiste » sur les chances de succès de la COP21 en décembre à Paris. « Pourquoi y a-t-il plus de chance de succès à Paris ? Parce que la situation a changé », a-t-il analysé. « Le dérèglement climatique a des effets partout. La pression pour trouver des solutions est plus forte. Le phénomène scientifique et le fait qu’il a une origine humaine ne sont quasiment plus contestés. Les technologies sont devenues plus accessibles. Les politiques ont changé. L’accord entre Barack Obama et XI Jinping — le président chinois — est à cet égard important », a résumé en substance le ministre.

Entreprises et politiques ont fait assaut de bonne volonté. « Ce n’est pas par la confrontation, mais par la coopération qu’on y arrivera », avait d’ailleurs plaidé mercredi la Costaricaine Christiana Figueres, « madame Climat » de l’ONU. Mais ce désir d’avancer ensemble n’est pas incompatible avec de fermes mises au point. « Pour investir dans l’économie bas carbone, nous avons besoin de signaux prix clairs et pérennes », a insisté, d’entrée de jeu, le patron de Schneider, M. Tricoire. Une demande reprise en choeur par tous les participants, au demeurant conscients, à l’image de Jean-Pierre Clamadieu (Solvay), de la nécessité de faire converger les mécanismes de tarification existants (taxes carbones, marché des droits d’émission…).

« Chacun doit faire sa part du chemin. Nous, les gouvernements, nous devrons vous donner des signaux. La COP 21 se penchera sur le prix du carbone », a assuré M. Fabius. Le ministre pouvait difficilement faire moins sur ce sujet décisif pour les industriels et les investisseurs. Le ministre a exhorté les entreprises à rejoindre les différentes structures de coordination agissant contre le dérèglement climatique et à renforcer la diffusion des technologies bas carbone innovantes. Il a également souhaité qu’une sorte de « réflexe climat » accompagne toutes leurs décisions, notamment celles d’investir. La veille, François Hollande avait insisté sur le rôle majeur que peuvent jouer les grands groupes dans les pays émergents : « Vous devez convaincre les émergents qu’ils doivent s’engager. Ils ne le feront qu’avec des entreprises qui anticipent sur les choix à faire et qui innovent en matière de lutte contre le dérèglement climatique », a fait valoir le président.

En faire plus, dit Suncor

Calgary — Le patron d’une des plus grandes sociétés pétrolières du Canada a fait vendredi des déclarations que n’auraient pas renié la plupart des environnementalistes.

Selon le chef de la direction de Suncor Énergie, il faut en faire beaucoup plus encore pour lutter contre les changements climatiques, et c’est à l’échelle provinciale que devraient d’abord porter les efforts.

Steve Williams a eu ces commentaires vendredi lors d’un colloque de la Commission de l’écofiscalité du Canada, un organisme indépendant qui vise à réunir le secteur universitaire, l’économie et l’environnement. Selon M. Williams, il faut d’abord et avant tout oeuvrer à l’échelle provinciale. Il a d’ailleurs été encouragé par sa rencontre avec la nouvelle première ministre de l’Alberta, la néo-démocrate Rachel Notley, au lendemain de son élection plus tôt ce mois-ci.

Au cours des discussions en groupe pendant le colloque, à Calgary, on a beaucoup moins parlé du rôle du gouvernement fédéral dans ce dossier, même si Ottawa vient d’annoncer sa nouvelle cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour l’après-2020 — une cible de réduction de 30 % d’ici 2030 par rapport à 2005.

M. Williams a par ailleurs mis en garde contre toute précipitation vers une taxe sur le carbone, qui peut causer beaucoup de dommages si les politiciens ne prennent pas le temps d’en fignoler les détails.

Amin Asadollahi, de l’organisme environnemental Pembina, estime qu’une taxe de 30 $ la tonne de gaz carbonique émis — comme en Colombie-Britannique — constituerait un bon point de départ.


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