Les jeunes ont raison de se plaindre

La fameuse érosion de la classe moyenne est surtout l’affaire des jeunes au Canada, conclut une étude.
Ce sont principalement les moins de 45 ans qui ont vu leurs revenus baisser, leur endettement s’alourdir, les gouvernements leur accorder moins d’attention et leurs perspectives s’assombrir au cours des quatre dernières décennies au Canada, rapporte-t-on dans une étude de l’Université de Colombie-Britannique dévoilée mardi. L’ensemble de la classe moyenne canadienne n’est ni victime d’une érosion ni en pleine ascension, note son auteur, le professeur Paul Kershaw, qui est aussi le fondateur d’une organisation pour l’équité intergénérationnelle appelée Generation Squeeze. « L’érosion est bien réelle. Mais elle frappe principalement les Canadiens de moins de 45 ans alors que le Canadien moyen de 55 ans et plus profite d’un meilleur niveau de vie que les précédentes générations de retraités. »
Le chercheur en veut pour preuve, entre autres, l’évolution du revenu individuel total médian (salaire, transferts des gouvernements, rendements de placements, etc.) depuis 40 ans. Une fois prise en compte l’inflation, ce revenu a reculé de 12 % pour les Canadiens de 25 à 34 ans en dépit d’une multiplication par deux de leur taux de diplomation postsecondaire, alors que les individus âgés de 35 à 44 ans ont accusé une baisse de revenus de 7 %. Les 45-54 ans (- 2 %) et 55-64 ans (+2 %) ont quant à eux fait du surplace, pendant que les 65 ans et plus ont amélioré leur sort de 74 %.
Ces données cachent encore une fois une différence, explique-t-on, mais cette fois entre les hommes et les femmes. La baisse de revenu a surtout été le fait des jeunes hommes alors que les plus vieux ont peu bougé. Les femmes, par contre, ont réalisé un important — bien qu’incomplet — rattrapage avec un gain, pour celles qui travaillent à temps plein, de 6 % chez les 25-34 ans, de 25 % chez les 35-44 ans, de 35 % chez les 45-54 ans et de 17 % pour les 55 ans et plus.
Ce rattrapage des femmes a permis d’améliorer le revenu des ménages de l’ensemble des groupes d’âge, mais encore une fois principalement au profit des plus âgés. Ainsi, les revenus totaux des ménages de 25-34 ans étaient 9 % plus élevés entre 2007 à 2011 que les revenus des ménages du même groupe d’âge entre 1976 et 1980. La progression a toutefois été de 12 % pour les ménages de 35-44 ans, de 21 % pour ceux de 55-64 ans et même de 51 % pour les 65 ans et plus.
Neuf fois plus riches
Ces modestes gains pour les ménages les plus jeunes sont loin d’avoir été de même ampleur que l’explosion de certains prix, notamment celui des maisons. En dollar de 2013, le prix moyen d’une maison au Canada est passé de 203 000 $ en 1976 à 383 000 $ en 2013. Il fallait cinq ans pour économiser les 20 % de mise de fonds nécessaire à l’achat d’une première maison, il en faut maintenant le double. Il n’est pas étonnant dans ce contexte que la proportion de ménages propriétaires de leur logement ait reculé de 42 % à 37 % chez les plus jeunes alors qu’il a augmenté de 63 % à 71 % pour les plus vieux.
Les ménages qui ont eu la chance d’acheter leurs maisons avant que ne s’envolent les prix immobiliers se retrouvent aujourd’hui avec un bel actif financier, alors que les autres doivent aussi composer avec une hypothèque plus lourde. Au final, l’écart de richesse s’est creusé entre les plus jeunes et les plus vieux au pays, note Paul Kershaw. Une récente étude de la Banque de Montréal a estimé qu’au début des années 80, le patrimoine du Canadien moyen de 55 ans et plus était quatre fois plus élevé que celui de son compatriote de 25 à 34 ans. Cet écart serait aujourd’hui de neuf contre un.
On pourrait ajouter à cela toutes sortes d’autres considérations qui réduisent la future marge de manoeuvre des générations montantes, fait valoir l’auteur de l’étude. Le poids de la dette par rapport à la taille de l’économie a par exemple plus que doublé en 40 ans. On sait aussi désormais qu’un nouveau modèle de développement devra être trouvé si l’on veut qu’il nous reste encore une planète où vivre.
En faire une priorité des gouvernements
Toutes ces tendances ne sont pas atténuées, mais renforcées par les gouvernements, déplore Paul Kershaw. Aux prises avec un vieillissement de la population, ils augmentent sans cesse leurs efforts financiers en matière de soins de santé et de retraite sans pour autant accroître leurs dépenses totales en proportion de la taille de l’économie. Cela s’est traduit notamment par une baisse relative des budgets alloués à l’aide financière aux familles et aux écoles primaires et secondaires, une stagnation de ceux allant aux études supérieures et une hausse de l’aide aux garderies insuffisante compte tenu de l’explosion du nombre de ménages où les deux parents travaillent.
« Il ne s’agit pas de négliger les soins médicaux ni les pensions de retraite d’une population vieillissante,affirme le professeur de la Colombie-Britannique. Mais aucune grand-mère ne voudra qu’on finance ses soins de santé au détriment des services de garderie dont a besoin sa fille. »
L’érosion est bien réelle. Mais elle frappe principalement les Canadiens de moins de 45 ans alors que le Canadien moyen de 55 ans et plus profite d’un meilleur niveau de vie que les précédentes générations de retraités.