Le pétrole redessine le paysage canadien

L’Alberta a éclipsé toutes les autres provinces au chapitre de la croissance ces deux dernières années, mais la situation risque de s’inverser avec la chute des prix du pétrole.
Photo: Frank Gunn La Presse canadienne L’Alberta a éclipsé toutes les autres provinces au chapitre de la croissance ces deux dernières années, mais la situation risque de s’inverser avec la chute des prix du pétrole.
Les effets du « mal hollandais », qui a longtemps affligé le secteur manufacturier du Québec et de l’Ontario, s’inversent. Les deux provinces profitent aujourd’hui de la chute des prix du pétrole et de la baisse du dollar canadien pendant que l’Alberta frémit. C’est le retour du balancier, mais pour combien de temps ?​
 

Des « vents favorables » soufflent actuellement sur le Québec et l’Ontario, affirme le professeur de science économique à l’Université d’Ottawa Serge Coulombe. Au contraire, les provinces productrices de pétrole, l’Alberta et Terre-Neuve, sont recouvertes de sombres nuages.

Selon lui, l’effet combiné de la dégringolade des cours pétroliers, de la dépréciation de la devise canadienne et du raffermissement de la demande américaine donne un second souffle aux manufacturiers et exportateurs québécois et ontariens. C’est en quelque sorte l’inversion du « mal hollandais », une expression qui désigne la hausse d’une devise causée par l’exploitation de ressources naturelles, ce qui désavantage d’autres secteurs de l’économie. Dans le cas canadien, l’exploitation massive des sables bitumineux dans l’Ouest canadien a asséné un dur coup aux provinces manufacturières, principalement le Québec et l’Ontario.

« Oui, il y a un effet inverse, explique M. Coulombe. Mais on ne pourra pas récupérer instantanément l’ensemble des pertes d’emplois subies dans le secteur manufacturier. Ça va prendre beaucoup de temps. »

Dans le sixième chapitre de l’ouvrage Le Québec économique 2013-2014 paru cet été, le professeur conclut que le Québec a perdu un total de 103 000 emplois manufacturiers entre 2002 et 2008 et que le « mal hollandais » est directement responsable d’environ le tiers de ces pertes (31 900 emplois).

« Les ajustements économiques ne se font jamais du jour au lendemain, ajoute-t-il. Plusieurs manufacturiers et exportateurs du Québec constatent maintenant qu’ils ont des possibilités nouvelles pour exporter ou augmenter leurs exportations aux États-Unis. Mais ça prend du temps avant de créer des réseaux, ajouter des lignes de production. » M. Coulombe précise que cette période de transition peut varier de deux à cinq ans, selon les cas.

Année prometteuse

 

« C’est moins vrai que ce ne l’était », répond le président de Manufacturiers et exportateurs du Québec (MEQ), Éric Tétrault. Son association a revu à la hausse ses prévisions pour 2015 pour tenir compte de la glissade des cours pétroliers et prévoit que les exportations québécoises vers les États-Unis vont augmenter de 15 % au cours des douze prochains mois.

Il constate lui aussi que le « mal hollandais » s’inverse, au bénéfice des entreprises et des consommateurs québécois. M. Tétrault se demande toutefois combien de temps durera cette conjoncture favorable.

« À moyen et long terme, il y a des désavantages sous l’angle canadien. En ce qui concerne la péréquation, si l’Alberta a moins de capacité fiscale, il faudra que le Québec soit beaucoup plus performant, ou qu’une autre province verse davantage d’argent. Nous sommes obligés de l’envisager, dit-il. Nous sommes dans l’attentisme. Pour l’instant, nous profitons de l’éclaircie. »

Dans un rapport dévoilé lundi, la Banque Royale du Canada a quant à elle démontré que la hausse des exportations et des dépenses de consommation provoquée par la baisse des prix du pétrole pourra largement compenser la chute des investissements dans le secteur pétrolier.

Mal persistant

 

À court terme, le Québec et l’Ontario ne ressentiront peut-être plus les effets du « mal hollandais », mais le syndrome n’a pas disparu de la scène canadienne pour autant, précise Serge Coulombe, de l’Université d’Ottawa. Depuis plusieurs années, l’économie du Canada est centrée sur l’exploitation des ressources naturelles et, encore aujourd’hui, le dollar canadien demeure une « pétromonnaie », juge-t-il.

« Lorsque l’économie canadienne est devenue de plus en plus dépendante de l’exploitation pétrolière, cela a entraîné une perte à long terme des emplois manufacturiers », précise le professeur.

« Si le dollar canadien demeure à 0,85 $US pendant cinq ans, on va observer un renouveau des exportations québécoises qui pourrait être relativement spectaculaire, d’autant plus que la conjoncture américaine est très bonne », affirme-t-il en revanche.

Le Québec n’aura par ailleurs rien à envier à sa voisine ontarienne, plus populeuse, puisque les économies des deux provinces suivent des trajectoires semblables, note M. Coulombe. « Le Québec va proportionnellement profiter des mêmes avantages. »

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