La Fed a consenti un prêt en dernier recours
Washington — La Réserve fédérale américaine était très réticente à faire un prêt à l’assureur AIG au bord de la faillite lors de la crise financière de 2008, a insisté Ben Bernanke, l’ex-patron de la Fed, vendredi.
« Nous ne voulions vraiment pas faire un prêt. On aurait vivement préféré une solution avec des investisseurs privés », a déclaré Ben Bernanke, lors du deuxième jour de son témoignage devant un tribunal fédéral à Washington.
Fait exceptionnel pour un ancien patron de la banque centrale des États-Unis, M. Bernanke a été appelé à témoigner devant la justice pour justifier le renflouement d’AIG par l’État, une opération contestée par l’ancien président du groupe qui affirme avoir été spolié par la nationalisation de l’assureur.
Plus prolixe face aux questions de l’avocat de la défense, Kenneth Dintzer, représentant l’État fédéral, que la veille face à celle du représentant des plaignants, M. Bernanke a raconté par le menu vendredi « la sacrée semaine » avant le 16 septembre 2008, selon ses mots, qui a entraîné la prise de contrôle d’AIG par l’État fédéral.
M. Bernanke a expliqué comment la Fed avait été prise entre le marteau et l’enclume, soucieuse de préserver un système financier menacé d’effondrement sans créer un risque d’aléa moral : « nous ne voulions pas rendre le renflouement attractif » et « inciter les firmes à regarder du côté de la Fed » plutôt que vers des solutions du secteur privé, a-t-il dit.
Dans un mémo, les économistes de la Fed recommandaient même au début du week-end fatidique « de ne pas prêter à AIG » pour éviter de créer des attentes de garantie implicite de la part d’autres firmes en difficulté. Mais la situation comptable du géant de l’assurance a vite empiré et ses demandes d’aides ont gonflé : « les chiffres continuaient d’augmenter au cours du week-end, ce qui me rendait perplexe sur leur capacité à évaluer leur propre situation », a expliqué M. Bernanke.
« Le trou est trop gros à boucher […]. Pas bon », conclut finalement un gouverneur de la Fed dans un courriel à « Edward Quince », un pseudonyme que s’est donné Ben Bernanke pour ces courriers internes à la Fed, le lundi 15 septembre à neuf heures du soir. La Fed signera le lendemain le plus gros prêt jamais accordé par la banque centrale à une firme autre que bancaire. En échange d’un emprunt de 85 milliards assorti de taux élevés, AIG cédera à l’État fédéral 79,9 % de son capital. Les injections de fonds publics finiront par atteindre 182 milliards.
Interrogé sur les responsables de la crise de 2008, M. Bernanke, ancien professeur d’économie, a par ailleurs dénoncé les graves lacunes du système de régulation à l’époque, les mauvais prêts du secteur privé et les agences de notation qui accordaient des triple A à des opérations qui se sont avérées déficientes. Il a comparé la panique financière à « la maladie de la vache folle » où l’apparition de quelques cas « a conduit les gens à cesser d’acheter de la viande ».
Questions des plaignants
Jeudi, l’ancien président de la banque centrale américaine a dû répondre aux questions de l’avocat des plaignants, David Boies, dans ce procès historique intenté contre l’État fédéral par l’ex-p.-d.g. du groupe d’assurance américain AIG Maurice Greenberg.
\« Une faillite d’AIG aurait-elle été catastrophique ? », a demandé l’avocat. « Oui, Monsieur », a juste répondu Ben Bernanke, visiblement peu enthousiaste de déposer devant ce tribunal fédéral spécialisé.
Ben Bernanke, qui a quitté la Fed en février, est l’un des trois grands architectes de la réponse apportée par les autorités américaines à la débâcle financière de 2008 à être appelé à la barre des témoins. Le procès en action collective est intenté au départ par Maurice « Hank » Greenberg, 89 ans, qui reproche au gouvernement américain d’avoir spolié les actionnaires d’AIG, dont lui-même, lors du sauvetage de l’assureur pendant la crise des crédits immobiliers à risque « subprimes » en 2008. Il réclame au moins 40 milliards de compensations.
Avant que Ben Bernanke ne prête serment jeudi, David Boies avait interrogé pendant deux jours et demi Timothy Geithner, l’ancien gouverneur de la Fed de New York devenu en 2009 le secrétaire au Trésor de l’administration Obama. Avant lui, Henry Paulson, le secrétaire au Trésor de l’administration Bush, a également été appelé à la barre.
Geithner et Paulson
Timothy Geithner a réaffirmé qu’une faillite de l’assureur aurait provoqué « une panique massive à l’échelle mondiale ». Répondant souvent par des « je ne sais pas » ou « je ne m’en souviens plus », il a indiqué que lorsque AIG avait demandé l’aide de l’État, il y avait pour le gouvernement « des chances raisonnables de récupérer » l’argent public.
Lundi l’ex-secrétaire américain au Trésor Henry Paulson a estimé qu’AIG « a été traité dans des termes plus durs que d’autres qui étaient en situation comparable », comme Citibank. Tout en jugeant que les conditions du renflouement avaient été « punitives » pour les actionnaires, le secrétaire au Trésor de 2006 à début 2009 a affirmé qu’il avait soutenu le schéma de sauvetage mené par la Fed car la faillite d’AIG « aurait fait s’écrouler le système financier et mis à mal des millions d’Américains ». Il fallait aussi réduire « l’aléa moral », cette forme de garantie implicite de l’État dont bénéficient les grands groupes trop importants pour faire faillite.
Alors que le sauvetage d’institutions financières avec l’argent public était très impopulaire aux États-Unis, AIG a fait figure de bouc émissaire, a encore estimé M. Paulson. « C’était un bouc émissaire pour les mauvais agissements de Wall Street », a déclaré l’ancien secrétaire au Trésor et ex-p.-d.g. de Goldman Sachs.