Vers la création d’un ordre professionnel des criminologues

Assïa Kettani Collaboration spéciale
Dotés d’une expertise au niveau de la délinquance, les criminologues peuvent travailler autant dans les établissements carcéraux que dans les maisons de transition, les centres jeunesse, les centres de dépendance ou d’itinérance, ou encore comme agents de libération conditionnelle.
Photo: Jacques Nadeau Le Devoir Dotés d’une expertise au niveau de la délinquance, les criminologues peuvent travailler autant dans les établissements carcéraux que dans les maisons de transition, les centres jeunesse, les centres de dépendance ou d’itinérance, ou encore comme agents de libération conditionnelle.

Ce texte fait partie du cahier spécial Semaine des professionnels 2014

Le projet enclenché depuis près de 20 ans est sur le point de connaître un tournant majeur : un ordre professionnel des criminologues va être créé.

La machine remonte à 1996, alors que l’Association professionnelle des criminologues du Québec, aujourd’hui dissoute, dépose une demande d’intégration des criminologues à l’Office des professions du Québec (OPQ). Mais, pour que le processus s’enclenche réellement, il a fallu attendre « le rapport déposé par le comité de travail de Jean-Bernard Trudeau sur la professionnalisation du domaine de la santé mentale en 2002 », précise Lucie Boissonneault, responsable des communications de l’OPQ. Recommandant la création de nouveaux ordres professionnels dans le domaine de la santé mentale et des relations humaines, en particulier dans le cas des criminologues, ce rapport a « posé les assises du projet de loi 21 visant à moderniser le champ d’exercice et à mieux encadrer les professions de sexologue et de criminologue ».

Quant à savoir quand l’ordre verra réellement le jour, la question demeure sans réponse. « C’est encore beaucoup trop tôt pour avancer un horizon », commente Lucie Boissonneault. Il reste en effet l’habituel va-et-vient : « Les lettres patentes doivent être complétées, transmises au ministre, puis au conseil des ministres, et publiées dans la Gazette officielle du Québec. Ensuite, il faut un délai de 60 jours pour recueillir les commentaires, qui seront de nouveau transmis au ministre. Ce n’est qu’après la publication finale dans la Gazette officielle du Québec que l’ordre pourra entrer en vigueur », explique-t-elle.

Selon Valérie Préseault, responsable des études de premier cycle et coordonnatrice de stages à l’École de criminologie de l’Université de Montréal, la création de l’ordre accuse un retard inexplicable, notamment par rapport aux sexologues : alors que les deux professions étaient concernées par le projet de loi 21, les sexologues ont vu la naissance de leur ordre l’an dernier, tandis que les criminologues attendent toujours.

Notons que l’ordre réservera le titre de criminologue à un seul volet d’une profession qui en compte en réalité plusieurs. Au volet de l’intervention, touché par la loi, s’ajoute celui des analystes et des chercheurs. « C’est une particularité de la criminologie. En travail social, par exemple, tous les finissants du baccalauréat font un stage en intervention, alors que, en criminologie, ils peuvent prendre l’orientation d’analyse-recherche. »

Vu qu’est privilégié le volet d’intervention sur l’analyse et la recherche, c’est tout un pan de la profession qui se verra lésé. « Au Département de criminologie de l’Université de Montréal, seuls un ou deux professeurs pourront faire partie de l’ordre. » Il va sans dire que les discussions n’ont « pas toujours été faciles autour de la table avec l’Office des professions, révèle-t-elle. Nos membres étaient fâchés, déçus et inquiets. » Une décision d’autant plus contestée que, même s’ils ne travaillent pas en intervention, les criminologues ont tout de même un impact sur le public, poursuit Valérie Préseault. « Ceux qui travaillent en milieu policier et qui font des recommandations sur le profilage racial, par exemple, ont un impact direct sur la population. »

Mais cette situation peut n’être que temporaire, précise-t-elle. « On se rendait compte que, si on résistait, l’ordre ne serait jamais créé. Donc, dans cette première phase, nous allons faire entrer les trois quarts de nos membres qui sont des intervenants. » Et, pour les autres, il faudra attendre une deuxième phase.

Pourquoi la création d’un ordre professionnel ? Il s’agit tout d’abord d’un besoin de reconnaissance. Encore jeune dans le paysage professionnel québécois — on lui donne 53 ans d’existence — la criminologie est encore en train de « se chercher et de définir ses contours ». D’autant plus qu’elle diffère d’un pays à l’autre, qu’elle est modelée selon les lois et les usages en vigueur, tirant tantôt vers le politique, tantôt vers le pénal.

Le champ d’exercice, quant à lui, est vaste : dotés d’une expertise au niveau de la délinquance, les criminologues peuvent travailler autant dans les établissements carcéraux que dans les maisons de transition, les centres jeunesse, les centres de dépendance ou d’itinérance, ou encore comme agents de libération conditionnelle. Un autre aspect de la profession concerne la victimologie, dans les centres d’aide aux victimes d’actes criminels ou les maisons d’hébergement pour femmes en difficulté. La profession a enfin des ramifications cliniques, notamment en santé mentale, où criminologues et psychiatres travaillent ensemble autour de patients ou détenus non criminellement responsables.

Et, jeunesse oblige, d’autres facettes du métier se développent : l’immigration, mais aussi les écoles, où les criminologues « ont indéniablement leur place », notamment autour de la prévention de l’intimidation et de la violence. La question du harcèlement au travail se pose également de manière croissante : Revenu Québec se montre, par exemple, prêt à embaucher des criminologues pour ses programmes d’aide aux employés.

Mais, surtout, la création de l’ordre répond à un impératif de protection du public, insiste Lucie Boissonneault. « Les criminologues posent des actes à risque pour le public. Celui-ci aura désormais la garantie d’un encadrement dans un système professionnel. » D’autant plus que les répercussions de la criminologie résonnent sur l’ensemble de la société. « Si on relâche trop rapidement quelqu’un qui a commis des agressions sexuelles et qui n’a pas été correctement évalué à cause d’un manque de compétences, les implications sont majeures », estime Valérie Préseault.

D’autre part, certains aspects de la profession demeureront flous tant que des normes précises ne seront pas établies. Que fait un criminologue travaillant dans un pénitencier à qui quelqu’un avoue qu’il a déjà commis un délit ? Est-il tenu au secret professionnel ? « Parfois, les règles d’un établissement entrent en opposition avec le code de déontologie. Il y a des zones grises, plus ou moins claires, sur ce qu’on fait avec l’information. » La profession peut également être la cible de débordements, notamment dans le cas du crime organisé, par exemple, où des intervenants peuvent divulguer de l’information sur des transferts de détenus.

Valérie Préseault se dit donc rassurée de savoir que la création de l’ordre favorisera un meilleur encadrement des membres, la possibilité d’enquêter sur leur pratique, de veiller au respect du code de déontologie ou de formuler des plaintes, ainsi que l’obligation de suivre une formation continue. « Un criminologue qui a obtenu son diplôme il y a 30 ans peut continuer de pratiquer sans se remettre en question. Or les lois et les façons d’intervenir changent. Quand on ne se tient pas à jour, on risque plus de faire des erreurs. On s’assure de la qualité du service offert à la population. »

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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