Le bio au champ de bataille

Les champs de canola (notre photo) et ceux de maïs-grain destiné au bétail sont régulièrement contaminés par les OGM, au grand dam des producteurs biologiques.
Photo: Archives La Presse canadienne Les champs de canola (notre photo) et ceux de maïs-grain destiné au bétail sont régulièrement contaminés par les OGM, au grand dam des producteurs biologiques.

À première vue, c’est David contre Goliath. Déjà fragilisé par sa petite taille, un important secteur de l’agriculture biologique québécoise fait face à la prolifération des organismes génétiquement modifiés dans les champs du Québec. Résistera-t-il à la contamination ?

Les cultures génétiquement modifiées (GM) sont à ce point répandues au Québec qu’elles menacent sérieusement la production biologique du canola et du maïs-grain, ainsi que la filière animale qu’elle nourrit. Confrontés à une contamination croissante de leurs semences qui occasionne d’importantes pertes financières, des producteurs veulent constituer des régions exemptes d’OGM.

 

Le président de la Fédération d’agriculture biologique du Québec, Gérard Bouchard, a récemment lancé l’idée à certains de ses collègues producteurs. « On pourrait ainsi avoir la garantie que les semences qui viennent de ces régions-là sont sans OGM. Ça pourrait aller jusque-là », confie-t-il en entrevue au Devoir.

 

Le Saguenay–Lac-Saint-Jean ou la Gaspésie, deux régions éloignées des grands centres urbains, pourraient par exemple être réservés à l’agriculture sans OGM. « On est à l’étape des pourparlers, ajoute-t-il. Mais avant tout, il faut croire que les OGM, ce n’est pas tout le monde qui en veut dans son assiette. C’est la population qui décide, dans le fond. »

 

Si les producteurs envisagent des mesures de cette ampleur, c’est que le problème auquel ils sont confrontés est tout aussi grand. Depuis quelques années, ils constatent que leurs productions sont de plus en plus contaminées par des OGM, en raison des déplacements du pollen des cultures GM avoisinantes, de l’entreposage dans des silos, des camions mal nettoyés ou carrément de semences déjà contaminées.

 

Les cultures de canola et de maïs-grain (principalement consacré à l’alimentation animale) sont particulièrement à risque parce qu’elles présentent les plus importants risques de contamination génétique par pollinisation croisée, c’est-à-dire par les abeilles ou le vent.

 

« J’ai vécu une contamination de ma production de canola, raconte Jacques Dallaire, producteur de grains bios de la ferme Tournevent, au Lac-Saint-Jean. Un échantillon a été testé positif au moment d’obtenir la certification biologique. Il a fallu faire la preuve que c’était une contamination mineure et les inspecteurs ont finalement accepté de redonner la certification pour mon lot. »

 

Analyses surprenantes

 

La directrice générale de la Coop Agrobio, Maude Forté, qui regroupe 25 producteurs de grains biologiques de la Montérégie, a fait face au même problème. Tel qu’évoqué la semaine dernière dans le magazine spécialisé en agriculture La Terre de chez nous, la contamination croissante des récoltes de ses producteurs l’a incitée à analyser les semences achetées avant de les mettre en terre. Les résultats obtenus sur 114 lots de semences de maïs dits sans OGM entre 2010 et 2014 sont renversants : seulement 15 % d’entre eux n’étaient pas du tout contaminés.

 

« Les vendeurs ne garantissent jamais que leurs semences sont non contaminées, dit-elle. Quand les producteurs font leurs tests et réalisent qu’il y a trop de contamination, normalement le vendeur reprend ses semences, mais c’est le producteur qui doit changer sa rotation de culture parce qu’il ne peut plus semer sur la superficie prévue au départ. »

 

Pour être certifiés biologiques, les grains produits ne doivent contenir aucun OGM. Peu importe la provenance de la contamination génétique, ses impacts sont donc importants, d’abord sur le plan financier. Le maïs-grain « conventionnel » produit au Québec se vend actuellement entre 185 et 215 $ la tonne, contre 500 $ pour la même quantité de maïs-grain biologique. Le ratio est semblable dans le cas du canola. Perdre sa certification, c’est donc vendre des grains plus de deux fois moins cher que le prix anticipé au début de l’été.

 

La contamination des cultures a également des répercussions sur l’ensemble de la filière biologique, à commencer par les fermes qui doivent absolument nourrir leurs animaux avec des grains sans OGM. « Je connais des producteurs qui ont des poules bios et qui font venir leur maïs de l’Ukraine parce qu’ils sont incapables d’obtenir des lots qui ne sont pas contaminés ici », illustre M. Bouchard.

 

Une affaire de marché

 

Les producteurs québécois en ont donc contre la proximité des cultures OGM qui contaminent leurs récoltes, mais aussi contre les semenciers qui peuvent vendre des semences dites sans OGM sans avoir à se plier à des normes gouvernementales spécifiques. « Il n’y a pas de réelle classification des semences avec ou sans OGM », concède la présidente-directrice générale de l’Association canadienne du commerce des semences, Patty Townsend. Seule la sécurité des semences pour l’humain et l’environnement est évaluée de manière générale. « C’est à l’entreprise qui veut vendre des semences sans OGM de s’assurer qu’il s’agit effectivement de semences sans OGM. C’est une affaire de marché, pas de réglementation. »

 

Devrait-on resserrer les règles pour éviter la livraison de semences contaminées ? « Non, absolument pas. Le produit est sécuritaire », répond-elle.

 

Du côté du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), on est bien au fait de la contamination génétique des cultures. « C’est une question complexe qui se doit d’être bien analysée », indique la porte-parole Caroline Fraser. Le MAPAQ a entamé une « analyse des enjeux de coexistence » entre les différents types de productions, dont celles qui sont génétiquement modifiées. Il a notamment rencontré plusieurs producteurs concernés et poursuivra ses travaux cet automne. La date de dépôt du rapport qui en découlera n’est pas encore connue.

 

Aucun responsable de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, responsable de la Loi sur les semences et du Règlement sur les produits biologiques, n’a été en mesure de répondre à nos questions cette semaine.

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