De déficit zéro à déficit social

Jacques Létourneau, président de la CSN : « Si l’idée, c’est de prendre une scie à chaîne et de couper dans les missions fondamentales de l’État, on va avoir des problèmes. »
Photo: - Le Devoir Jacques Létourneau, président de la CSN : « Si l’idée, c’est de prendre une scie à chaîne et de couper dans les missions fondamentales de l’État, on va avoir des problèmes. »

À l’heure des compressions budgétaires, la Confédération des syndicats nationaux (CSN) met en garde le gouvernement Couillard. En précipitant l’atteinte du déficit zéro, il pourrait en retour provoquer un « déficit social ».

 

Cette formule, le président de la CSN, Jacques Létourneau, l’a servie à Pauline Marois lorsqu’elle était ministre des Finances au début des années 2000. Il a senti le besoin de la répéter vendredi lors d’une rencontre avec l’équipe éditoriale du Devoir organisée à l’aube du 64e congrès triennal de l’organisation syndicale, qui débutera lundi.

 

« Le déficit social, on ne l’aborde jamais. On est toujours dans une logique économique, déplore-t-il. Aujourd’hui, comme syndicalistes, on ne peut pas faire abstraction du niveau d’endettement du Québec et du besoin d’atteindre l’équilibre budgétaire. Mais je crois qu’il faut reporter l’atteinte du déficit zéro pour se donner plus de marge de manoeuvre. »

 

À son avis, l’« obsession » de la dette est la même chez les libéraux et les péquistes. Il faut donc sortir de cette logique dans laquelle la classe politique s’est selon lui enfermée, sans quoi ce sont les Québécois qui écoperont. « L’ampleur des compressions budgétaires est à un point tel que ça va être difficile de ne pas toucher aux services directs à la population », juge-t-il.

 

Le nouveau gouvernement libéral met le cap sur un retour à l’encre noire en 2015-2016. Pour y parvenir, il mise sur les avenues que lui proposeront la Commission sur la réforme de la fiscalité et celle qui révisera de manière permanente les programmes de l’État.

 

La CSN compte se faire entendre, peu importe la forme que ces commissions prendront, mais elle invite déjà le gouvernement à faire preuve d’ouverture. En matière de fiscalité, M. Létourneau espère que la démarche ne servira pas « qu’à étamper le plan de match des libéraux ». Il ne s’oppose pas non plus à la révision des programmes, mais prévient que « si l’idée, c’est de prendre une scie à chaîne et de couper dans les missions fondamentales de l’État, on va avoir des problèmes ».

 

Lors de son discours inaugural prononcé mercredi, le premier ministre Couillard a prédit que « des voix s’élèveront au nom de la protection des acquis », mais a fait savoir qu’il agira « de façon nette et décisive » après avoir tendu l’oreille. Jacques Létourneau rétorque qu’il n’a pas peur de prendre part à ce type de débats corsés.

 

Renouveler le syndicalisme

 

Le calendrier de la CSN est déjà bien garni dans les mois à venir. En plus de scruter à la loupe les finances publiques et les programmes gouvernementaux du Québec, elle se lancera cet automne dans les négociations des conventions collectives des employés des secteurs public et parapublic, pour ensuite unir ses forces à celles des autres organisations syndicales canadiennes en vue des élections fédérales de 2015.

 

Ce ne sont toutefois pas ces enjeux d’actualité qui occuperont le devant de la scène lors du congrès de la CSN, qui se déroulera à Québec du lundi au vendredi. M. Létourneau souhaite que cette semaine d’échanges et de débats permette aux délégués de prendre du recul et de concrétiser l’objectif que c’était fixée sa prédécesseure, Claudette Carbonneau : « renouveler » le syndicalisme.

 

« Si on ne donne pas un coup de barre sur notre façon de pratiquer notre syndicalisme, c’est sûr que le syndicalisme est menacé. Mais la crise du syndicalisme qu’on vit aujourd’hui, ce n’est pas la crise de la pertinence du syndicalisme », nuance-t-il.

 

Parmi les propositions qui seront débattues au cours des prochains jours, il sera question de « dynamiser la démocratie syndicale » en utilisant de nouveaux moyens de communication pour favoriser une plus grande participation des membres. On souhaite également lancer un projet-pilote pour permettre à des travailleurs non membres de la CSN d’y adhérer sur une base individuelle pour recevoir certains services ou mettre sur pied une action collective.

 

D’autres chevaux de bataille incontournables animeront également les débats, comme la refonte de la Loi sur les normes du travail — dont la dernière révision remonte à 2002 — pour contrer la précarisation croissante des emplois et une modernisation des dispositions antibriseurs de grève incluses dans le Code du travail.

 

De manière plus générale, la CSN entend adopter une philosophie, une approche différente. « On n’est plus dans le syndicalisme de combat, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y aura pas des luttes importantes à venir. Il y a un équilibre à trouver là-dedans », soutient Jacques Létourneau.

 

Sans adversaire déclaré pour l’instant, ce dernier devrait être reconduit cette semaine à la tête de la CSN pour un nouveau mandat. Il promet d’« ouvrir » son organisation en tendant la main aux 60 % des travailleurs québécois qui sont actuellement non syndiqués. Mais aussi de tout faire pour redonner ses lettres de noblesse au syndicalisme.

À voir en vidéo