Plus d’un Québécois sur deux ignore ce qu’est l’investissement socialement responsable

Etienne Plamondon Emond Collaboration spéciale
L’ISR touche une clientèle différente de celle attirée par les produits et services écoresponsables. La consommation responsable est généralement plus axée vers les femmes.
Photo: Normand Blouin L’ISR touche une clientèle différente de celle attirée par les produits et services écoresponsables. La consommation responsable est généralement plus axée vers les femmes.

Ce texte fait partie du cahier spécial Investissement responsable - Mars 2014

Ce n’est pas la crainte d’un faible retour sur l’investissement qui retient les particuliers québécois de mettre leurs sous dans l’investissement socialement responsable (ISR), mais plutôt le manque d’information ou la complexité de celle disponible. C’est du moins la conclusion d’une récente étude de l’Observatoire de la consommation responsable (OCR).

Qu’est-ce qui rend les particuliers, au Québec, si hésitants à plonger dans l’investissement socialement responsable (ISR) ? Le manque d’information, si on en croit les résultats d’un sondage effectué par l’OCR. En effet, le fait qu’il n’y ait pas assez d’information a été la raison la plus souvent invoquée comme un frein : 57 % des répondants ont jugé qu’il s’agissait d’un facteur qui les décourageait d’y mettre leurs épargnes.

 

Ces résultats, dévoilés le 20 février dernier, vont « un peu à l’encontre de ce que pensent beaucoup d’offreurs, parce que la plupart d’entre eux croient que le frein majeur continue d’être la perception du risque et de la performance de ce type de produit financier », explique Fabien Durif, directeur de l’OCR et professeur au Département de marketing de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM.

 

Rendement et information

 

Seulement 35 % des répondants ont dit croire que le retour sur l’investissement était inférieur à travers l’ISR, tandis que 28 % s’inquiétaient du risque sur l’investissement. Des proportions faibles, qui se comparent « au rejet de base » des produits verts ou des autres services écoresponsables, selon M. Durif. Reste que, selon l’étude, seulement 8,5 % des Québécois ont déjà investi dans l’ISR et à peine 5,9 % ont investi dans ce type de produits financiers durant la dernière année. « Le passage à l’acte, aujourd’hui, est freiné, bien entendu par la faible capacité d’épargne, mais aussi par ce manque d’information. »

 

De plus, 47 % des personnes interrogées ont avoué mal comprendre comment l’ISR influençait le comportement des entreprises, et environ 43 % ont jugé que l’information transmise à ce sujet manquait de transparence. Parmi les autres éléments importants poussant les particuliers à tourner le dos à l’ISR, on critique la complexité de l’information accessible. Un peu plus de 39 % des répondants ont signalé que les caractéristiques des fonds n’étaient pas assez mises en avant et un peu moins de 39 % des gens ont affirmé que l’offre des institutions financières dans ce domaine était difficile à comprendre.

 

Une non-connaissance de l’univers financier

 

Reste que l’enquête évalue que les Québécois ne sont pas à l’aise, de manière générale, avec le domaine financier. Ce sont donc 57 % des personnes interrogées qui n’ont jamais entendu parler de l’ISR avant l’enquête. Seulement 15 % des répondants se sont désignés comme des investisseurs expérimentés et à peine 38 % ont déclaré avoir un bon niveau de connaissances financières.

 

Est-ce que les freins sont différents du côté des investisseurs aguerris ? « Pour ce qui est de l’information, non, répond du tac au tac M. Durif. C’est exactement la même chose que pour les produits et services écoresponsables : plus vous êtes un consommateur responsable, plus vous allez être freiné par l’information, parce que vous allez davantage la chercher. Et généralement, moins vous êtes un consommateur responsable, plus vous allez être freiné par la perception du risque ou du prix. Donc, il ne faut pas penser que ce sont les consommateurs qui ne sont pas intéressés qui vont être freinés par les problèmes d’information. C’est vraiment le contraire. »

 

Il en irait de même pour les particuliers qui ont déjà investi dans l’ISR. Dans un article publié dans la Revue française de gestion, en 2013, M. Durif avait analysé les motivations des Ontariens qui avaient abandonné l’ISR après avoir tenté l’expérience. Ces particuliers se montraient plus sceptiques envers les répercussions engendrées sur la société et l’environnement par ce type d’investissement.

 

« Il y a beaucoup de citoyens qui veulent qu’on leur montre l’impact de leurs investissements,observe M. Durif. Ils veulent des rapports et de l’information précise. Et c’est certainement des choses qu’on ne voit pas assez. »


Vers un classement des fonds ?

 

De plus, M. Durif juge qu’il y a un gros travail à faire pour mieux distinguer les différentes formes d’ISR. Seulement 8,4 % des investisseurs particuliers ont affirmé les discerner, tandis que 35,3 % ont quant à eux avoué ne pas vraiment les connaître. Les autres ont admis ignorer complètement en quoi consistent les stratégies de mise en oeuvre de l’ISR.

 

Un tel flou risque d’entraîner des déceptions, voire pousser certains investisseurs particuliers à accuser certains fonds de faire de l’écoblanchiment. Par exemple, un investisseur qui croit que l’ISR se résume au filtrage négatif, soit l’exclusion de pratiques ou de secteurs d’activité jugés immoraux, pourrait se sentir trahi s’il a plutôt investi dans une stratégie de filtrage positif sélectionnant les meilleures entreprises dans un seul domaine (social, environnemental ou de gouvernance), dans une stratégie basée sur un fonds thématique limité à un secteur ou dans une stratégie d’engagement actionnarial misant sur le dialogue avec les entreprises du portefeuille.

 

Plusieurs initiatives pourraient par contre convaincre les récalcitrants. D’après les réponses collectées, bien des particuliers seraient plus tentés par l’ISR si une entité indépendante était active sur le sujet, que ce soit dans la réalisation d’un classement des fonds, d’une campagne de sensibilisation, d’un site Web interactif ou d’une certification. Il est à noter que l’OCR travaille actuellement à l’élaboration d’une plateforme Web interactive de sensibilisation à l’ISR.

 

Informations bancaires souhaitées

 

Mais les institutions financières auraient aussi leur bout de chemin à faire. Près de 49 % des répondants souhaitent que ces dernières évaluent elles-mêmes leurs propres produits financiers et les classent pour montrer que certains sont plus performants du côté de la responsabilité sociale, alors que d’autres le sont moins pour être plus rentables. « Il y a des gens qui sont prêts à faire des compromis », rappelle M. Durif. D’ailleurs, près de 45 % des personnes interrogées ont manifesté leur désir de voir les institutions financières personnaliser leurs produits.

 

Pour l’instant, l’ISR traîne de la patte comparativement à la consommation responsable dans les autres domaines, juge M. Durif. Dans son ensemble, le secteur des services n’est pas aussi avancé dans cette démarche que celui des produits. Mais même par rapport aux autres services, comme les services écotouristiques, l’ISR est « beaucoup plus en retard », affirme M. Durif.

 

Profil des investisseurs

 

Par contre, il souligne que l’ISR doit être traité à part, puisqu’il touche une « clientèle qui est assez différente de ce qu’on retrouve habituellement pour les produits et services écoresponsables ».

 

Il explique : « La consommation responsable est généralement plus axée vers les femmes. Aussi, le revenu, l’éducation et le lieu de résidence n’ont pas trop de conséquences. Là, comme on est dans un produit financier, ce sont plus des hommes. Ils sont souvent plus jeunes, et le niveau d’éducation et de revenu va aussi avoir une influence. On a aussi une clientèle beaucoup plus urbaine et montréalaise. »

 

N’empêche, en croisant les résultats de l’étude avec l’indice de consommation responsable, M. Durif a remarqué que plus une personne a des habitudes de consommation responsable au quotidien, plus elle tend à vouloir s’engager dans l’ISR.

Collaborateur

Ce contenu a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.

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