Le vent tourne en défaveur des énergies vertes

Ce renversement de situation a contribué, ces dernières années, à une augmentation de la capacité de production de panneaux solaires, de turbines d’éoliennes et autres batteries de voitures électriques bien plus grande que l’augmentation de la demande. 
Photo: - Archives Le Devoir Ce renversement de situation a contribué, ces dernières années, à une augmentation de la capacité de production de panneaux solaires, de turbines d’éoliennes et autres batteries de voitures électriques bien plus grande que l’augmentation de la demande. 

Le prix des énergies renouvelables n’a jamais été aussi bas, au point même de déjà offrir, dans certains cas, une option économiquement viable aux énergies fossiles, constate la firme américaine d’analyse Bloomberg. Et pourtant, les investissements dans le secteur sont en fortes baisses, et les fabricants qui ont parié sur le virage vers l’énergie verte ne savent plus quoi faire de leurs panneaux solaires, de leurs turbines d’éoliennes et de leurs batteries de voitures électriques.

 

Les nouveaux investissements en matière d’énergie renouvelable ont reculé de 11 % l’an dernier et avaient reculé de presque autant l’année d’avant, a observé lundi Michel Di Capua, directeur pour l’Amérique du Nord de Bloomberg-New Energy Finance, lors d’une conférence à Montréal. Ces baisses ont été le fait d’une forte diminution en Europe en deux ans de 127 milliards à 68 milliards, mais aussi d’un recul, aux États-Unis, de 88 milliards à 66 milliards, que n’est pas parvenue à compenser une hausse constante des investissements en Asie, où le total est passé, depuis 10 ans, de 18 milliards, en 2004, à 121 milliards, en 2013.

 

Ces changements se produisent alors que les gouvernements américains et européens mettent graduellement en veilleuse de nombreuses politiques d’aide aux technologies propres et que des pays asiatiques, comme la Chine, font tout le contraire. « Plus d’argent a été investi en Chine dans la production d’énergie solaire au dernier trimestre que dans n’importe quel autre pays pour toute une année », a dit au Devoir Michel Di Capua en marge de sa conférence présentée dans le cadre d’un Rendez-vous des décideurs organisé par SWITCH, l’Alliance pour une économie verte au Québec, un regroupement d’organisations issues des milieux écologistes, financiers, économiques et associatifs.

 

Panneaux solaires en solde

 

Ce renversement de situation a contribué, ces dernières années, à une augmentation de la capacité de production de panneaux solaires, de turbines d’éoliennes et autres batteries de voitures électriques bien plus grande que l’augmentation de la demande. Cela a acculé plusieurs fabricants à la faillite et forcé un grand mouvement de consolidation de ces secteurs.

 

Mais cela est aussi venu s’ajouter aux progrès technologiques et aux économies d’échelle des dernières années, pour faire chuter les prix de ces technologies à des planchers historiques, note l’analyste de Bloomberg. « Les prix mondiaux des panneaux solaires ont baissé de 80 % en cinq ans et de 99 % depuis les années 70. […] C’en est au point où plusieurs sources d’énergies renouvelables sont aujourd’hui économiquement concurrentielles avec les énergies fossiles, et parfois même sans aucune forme de subvention. »

 

C’est notamment le cas, explique-t-il, dans les régions où l’énergie est chère, les endroits où des sources comme le vent ou le soleil sont abondants, et idéalement où l’on trouve les deux. Il cite l’exemple du Chili, de la Turquie, du sud de l’Italie, d’Hawaï et des Caraïbes. Ça l’est aussi dans d’autres pays, comme l’Australie, lorsque les producteurs d’énergie prennent en compte le coût des émissions polluantes qui leur est déjà facturé, ou dont ils estiment qu’il leur sera tôt ou tard facturé.

 

La révolution du gaz de schiste

 

Mais il y a d’autres endroits où l’on ne voit pas le jour où les seules règles du marché convaincront les entreprises et les consommateurs à adopter ces nouvelles technologies vertes. Michel Di Capua cite le cas du Canada, avec ses sables bitumineux, mais surtout des États-Unis et ses pétrole et gaz de schiste abondant et bon marché. « Le gaz de schiste apporte au marché américain un changement structurel capable de se maintenir de nombreuses années. »

 

L’expert américain ne désespère pas malgré tout de voir les pouvoirs publics mettre en place des Bourses du carbone et autres taxes vertes visant à encourager une conversion vers une économie plus verte. L’apparente impasse des négociations multilatérales cache une multitude d’initiatives de l’Union européenne, de plusieurs pays, mais aussi de simples régions et provinces, comme cette bourse du carbone à laquelle participe le Québec aux côtés de la géante Californie.

 

Mieux taxer

 

L’un des cinq thèmes abordés, lundi, au Rendez-vous des décideurs de SWITCH, portait justement sur les types de réformes fiscales et financières susceptibles d’inciter les acteurs économiques à prendre le virage vert. L’événement d’une journée, auquel ont participé environ 150 personnes, se voulait une occasion d’échanges entre les représentants du Conseil du patronat du Québec, des centrales syndicales, de firmes d’investissement, de secteurs industriels, du mouvement écologiste, d’organismes de développement économique, de ministères, de partis politiques, ou encore de l’Union des municipalités du Québec.

 

Dans l’atelier sur l’écofiscalité, on a généralement convenu qu’il faudrait commencer par dresser un portrait d’ensemble clair des nombreuses mesures fiscales en la matière déjà en vigueur au Québec et parfaire sa connaissance sur les autres expériences à l’étranger. On y a notamment rappelé, qu’en moyenne, seulement 6,1 % de l’assiette fiscale des pays de l’OCDE est explicitement liée à des objectifs environnementaux, et que cette proportion peut atteindre 8,8 % au Danemark et même 11,5 % aux Pays-Bas, mais qu’elle n’est que de 3 % aux États-Unis et de 3,4 % au Canada.

 

« Le problème n’est pas qu’on taxe trop, mais qu’on taxe mal », s’est exclamé l’un des participants.

À voir en vidéo