Savoir braver la tempête

L’expression « tempête parfaite » n’est pas connue outre-Atlantique, mais les ingrédients nécessaires y étaient réunis. Récession en Europe, crise sociale dans la zone euro et tensions géopolitiques avec le printemps arabe secouant le nord de l’Afrique se sont conjuguées pour faire la vie dure aux voyagistes locaux. En France, un seul grand voyagiste a pu faire bande à part là où tous ont perdu de l’argent. Transat France a renoué avec la rentabilité en 2013.
« Je suis peu familier avec l’expression “ tempête parfaite ”. Mais je peux vous dire que nous avons traversé une tempête importante, longue et dure avec cette crise économique combinée à la chute de nos marchés dans les destinations nord-africaines. Et je peux vous dire que malgré sa sévérité, elle était traversable. Notre métier est fait de tempêtes », déclare Patrice Caradec.
Le p.-d.g. de Transat France fait l’éloge des qualités de son équipe. Car la filiale française peut désormais faire oublier un long historique truffé de restructuration et de redressement en France après l’acquisition de Look Voyages par Transat, en 1996. Pari réussi et cible dépassée. Transat France a renoué avec la profitabilité en 2013, en inscrivant un bénéfice d’exploitation de 4,5 millions d’euros, contre une perte d’exploitation de 9,4 millions en 2012. « On visait l’équilibre. On a fait mieux. Soyons toutefois modestes. Cela représente à peine 1 % de notre chiffre d’affaires. Mais c’est plutôt respectable dans les circonstances. D’autant que parmi les cinq plus gros joueurs en France, nous sommes les seuls à ne pas avoir perdu de l’argent », a commenté Patrice Caradec, au cours d’un entretien au Devoir.
Le p.-d.g., qui cumule 17 années dans l’industrie, raconte. L’exercice 2012 a été particulièrement difficile, dans le sillon du printemps arabe. « Les marchés de la Tunisie, de l’Égypte ou du Maroc peuvent représenter au moins 25 %, parfois jusqu’à 100 % de l’activité des “ majors ” d’ici. C’est tout dire ! » Il fallait élever la voix, prendre le leadership. Proclamer haut et fort que l’on devait abaisser la capacité au risque de perdre des parts dans un marché, celui de la France, caractérisé par ses achats de dernière minute. « Nous avons été les premiers à jouer la carte de la sous-capacité pour éviter le bradage, pour protéger le juste prix sur notre produit. Et on l’a fait savoir. » Transat France a appliqué une réduction de ses capacités de 10 à 15 %. Les TUI, Thomas Cook et Fram ont répondu à l’invitation. Le chiffre d’affaires a reculé de 3,5 %, à 491 millions d’euros sur l’exercice 2013, et la clientèle a chuté de 8,5 %, à 430 000. Mais « nous avons protégé la qualité de notre produit et créé une rareté. Le prix de vente moyen a crû de plus de 5 %. Et cela a été directement à la marge bénéficiaire », avec un gain de deux points de marge à prix constants, a-t-il précisé.
Dans l’intervalle, la filiale de Transat s’est hissée au troisième rang en France.
Mouvement inversé
« Je dois parler de la qualité de l’équipe. J’ai été bien accompagné, avec une équipe de cadres en place depuis 15 ans, alors que beaucoup de nos confrères ont subi un mouvement au sein de leur équipe qui les a déstabilisés. » La stratégie a consisté à limiter l’accumulation des inventaires et à éviter de brader le produit à coup de promotions provoquant une érosion des marges. « Nous avons inversé le mouvement. Plutôt que de gérer des stocks, nous avons mis en place un mécanisme de restockage au rythme de la demande. En résumé, nous achetions le produit qu’on avait vendu. » Puis la demande est revenue graduellement sur les cinq grands axes que sont la Grèce, l’Espagne, le Maroc, la Thaïlande et le Sri Lanka.
Des efforts importants ont également été demandés aux distributeurs et agences de voyages, qui comptent pour 75 % des activités de Transat France, avec commissions renégociées à la baisse et des dépenses de référencement Web réduites de 20 % dans un pays tombant sous la domination monopolistique de Google.
Les salariés ont également été mis à contribution avec l’annonce, il y a 18 mois, d’un gel des salaires et des embauches. Il y a eu une cinquantaine de départs, une quarantaine de postes non comblés parmi les 550 salariés de l’entreprise. « Il fallait obtenir l’adhésion de tous les maillons de la chaîne. Aujourd’hui, tout le monde est heureux », estime Patrice Caradec.
Sur-mesure
Transat France a, pour cible, un chiffre d’affaires de 510 millions d’euros en 2014. Tirant 30 % de ses revenus l’hiver (du 1er novembre au 30 avril) et 70 % l’été, « près de 45 % de nos activités sont assurées à ce jour. C’est un bon départ ».
Sur cette lancée, Transat France entend jouer davantage la carte du sur-mesure, répondant à une demande grandissante de voyageurs cherchant flexibilité et séjours modulables. « Nous ne voulons pas abandonner notre produit de base. À l’heure actuelle, 95 % de ce que l’on vend est du forfait. Mais il y a stagnation du modèle ,comme l’illustre le fait que notre chiffre d’affaires s’établissait à 500 millions en 2008, comme aujourd’hui », souligné Patrice Caradec. « On peut très bien entrevoir un partage 70 % forfait, 30 % modulé. »
« C’est de l’incrémental. La moitié de nos clients sont fidèles et nous reviennent. Il n’y a pas de raison que je perde des parts de marché. » Le p.-d.g. de marteler : « Je veux vendre “ le rêve pour tous »”. Je veux aussi vendre “ le rêve de chacun ”. »