L’industrie de la pub en crise

Une passante circule devant une affiche publicitaire.
Photo: Agence France-Presse (photo) Archives Une passante circule devant une affiche publicitaire.

Les agences de publicité exhortent les annonceurs à revoir leurs processus d’appels d’offres, à défaut de quoi la vitalité de l’industrie de la communication marketing pourrait être compromise.

 

Face à la fragmentation de la publicité due à l’entrée en force du numérique, « les processus de sélection d’une agence de publicité se sont complexifiés avec les années », souligne la présidente et chef de la direction de PALM + HAVAS, Ann Bouthillier. « Ils représentent maintenant un investissement en temps, en argent et en énergie très important [de la part des agences de publicité] », insiste-t-elle.

 

Les annonceurs sous-estiment les efforts déployés par une agence de publicité qui répond à un appel d’offres, est d’avis l’Association des agences de publicité du Québec (AAPQ). Les clients évaluent en règle générale le coût d’un pitch de vente à la moitié du coût réel payé par une agence, c’est-à-dire entre 18 000 $ et 92 000 $, révélait une récente étude de la firme CROP.

 

Au sein de l’industrie, il y a un « mythe assez fort » selon lequel « toutes les agences ont déjà des documents qui sont prêts à être imprimés » dès qu’un appel d’offres apparaît sur leur écran radar, indique la directrice générale de l’AAPQ, Dominique Villeneuve. « Tout est très, très, très personnalisé. »

 

Les boîtes de pub engloutissent une petite fortune afin d’effectuer de « faux mandats » prévus dans les appels d’offres. Qui plus est, l’exercice s’avérera « la plupart du temps très futile »,avertit Mme Bouthillier, qui est également la présidente du conseil d’administration de l’AAPQ. « Il est excessivement rare que le travail stratégique ou créatif qu’on nous fait faire, du travail non rémunéré, soit basé sur les conditions réelles de l’annonceur », explique la femme d’affaires, cumulant quelque 25 années d’expérience dans le monde de la pub. Ainsi, peu importe si l’agence de publicité perd ou remporte le contrat, « dans 99 % des cas, ce travail spéculatif là est jeté aux poubelles ».

 

« L’argent qui est investi là devrait être investi ailleurs au bénéfice du succès de notre client. Ça ne contribue pas à son succès. En plus, ça fragilise notre industrie », déplore Mme Bouthillier, précisant que les charges liées au développement des affaires se hissent généralement tout juste après les salaires et le loyer dans la longue liste de dépenses d’une boîte de pub.

 

Pourtant, les annonceurs confrontent les publicitaires à de plus en plus de cas fictifs avant d’octroyer un contrat. Certains d’entre eux exigent huit études de cas, mentionne Mme Villeneuve. « C’est beaucoup trop ! Même l’annonceur perd son temps. » Ce n’est pas tout, poursuit-elle. Une entreprise a récemment demandé un « plan marketing complet sur un dossier » aux agences de publicité se disputant l’un de ses contrats. « Qu’est-ce qu’on fait ? »,s’interroge la d.g. de l’AAPQ. « Tout le monde a faim. »

 

Du coup, plusieurs travaillent soirs et week-ends dans les grands et petits bureaux pour mettre au point une offre de services à un éventuel client, et ne pas laisser le champ libre à leurs concurrents. « C’est au-delà du travail quotidien », dit Mme Bouthillier, non sans craindre une perte de l’attrait exercé par le secteur de la pub dans le marché du travail.

 

La dirigeante d’entreprise se garde toutefois de blâmer les annonceurs. « Eux, ils répliquent ce qu’ils ont vu […] dans une industrie qui a évolué. » Cela dit, des entreprises, sous le couvert d’un processus de sélection rigoureux, profitent des services d’agences de publicité sans payer un rond au final. « Oui, on voit du “ brain picking ” quelques fois », dit Mme Bouthillier, avant de préciser qu'« on ne peut pas généraliser ».


« L’industrie se mobilise »

 

Face à des membres exténués, l’AAPQ veut endiguer le flot de « travail spéculatif » exigé dans les appels de propositions d’annonceurs. Elle dévoilera ce mercredi un « Guide » dans lequel elle propose aux acteurs du milieu un processus de sélection d’une agence de publicité mieux balisé.

 

« On n’est pas contre les appels d’offres. Au contraire, il faut s’assurer de choisir les agences de façon équitable », dit Mme Bouthillier. Disant s’être inspirée de l’Institut canadien des agences (ICA) et de l’American Association of Advertising Agency (AAAA), l’AAPQ invite notamment les annonceurs à rechercher une équipe, plutôt qu’une campagne publicitaire. « Est-ce qu’on demande à un avocat, c’est quoi le plaidoyer qu’il va faire ? Tu vas plutôt regarder la personne avec qui tu vas travailler et son expertise », soutient Mme Bouthillier.

 

L’AAPQ appelle également ses membres à la mettre au parfum des appels de propositions apparaissant disproportionnées, après quoi elle cherchera à les réviser de concert avec leur auteur. « Entamer ce dialogue-là avec les annonceurs, ce n’est pas de leur demander de régler un problème interne [aux agences de publicité], c’est de travailler ensemble pour qu’eux aussi [y trouvent leurs comptes]. Ils ne savent pas comment bien évaluer une agence sans voir de la stratégie ou des dessins », affirme Mme Villeneuve.

 

En contrepartie, l’Association appelle ses membres à « être honnêtes » lorsqu’elles participent à un concours. « Ce n’est pas une situation gagnant-gagnant si tu fais semblant de dire : “ je suis capable de faire cela  », soutient la présidente et chef de la direction de PALM + HAVAS.


Comptes nationaux

 

Après avoir été secoué par les départs coup sur coup des « comptes nationaux » d’Air Canada et de Honda, le monde de la pub montréalais a les yeux rivés sur l’appel d’offres pour le compte national de Rogers Communications dont l’issue devrait être connue d’ici mars prochain. En plus de Publicis, qui détient à l’heure actuelle le contrat, neuf autres agences de publicité ont été invitées à participer à l’appel d’offres.

 

« D’avoir perdu Air Canada, qui était chez Marketel depuis 25 ans, c’est sûr que ce n’est pas une bonne nouvelle pour notre industrie et on ne peut pas s’en réjouir, loin de là », lance Mme Villeneuve. Néanmoins, trois agences québécoises étaient en lice jusqu’à la toute fin, rappelle-t-elle. « On a un beau talent. On a une belle expertise. Les agences travaillent très, très fort pour continuer d’aller chercher des comptes nationaux », fait-elle valoir. L’effectif de l’AAPQ, qui regroupe 73 agences derrière plus de 85 % du chiffre d’affaires de l’industrie au Québec, a fait un bond de 14 % entre 2011 et 2012, souligne-t-elle.

 

« Il faut mettre les choses en perspective », poursuit Mme Bouthillier. Cossette avec Aeroplan, PALM + HAVAS avec Volkswagen, Sidlee avec Adidas, Nurun avec L’Oréal, pour ne nommer que ces partenariats d’affaires-là : « Il y a aussi des agences au Québec, de toutes tailles, qui ont des mandats nationaux et internationaux », insiste-t-elle.

 

La planète pub montréalaise ne tourne pas rond. Participant à des processus d’appels d’offres de plus en plus exigeants — où elles doivent notamment consacrer un temps fou à des études de cas bidon —, les agences de publicité sont aujourd’hui à bout de souffle.

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