Manipulations des taux - L’UE sévit contre de grandes banques

Joaquin Almunia
Photo: Agence France-Presse (photo) Joaquin Almunia

Plusieurs grandes banques, dont Deutsche Bank et Société générale, qui avaient manipulé les taux d’intérêts, se sont vu infliger mercredi de lourdes amendes, pour un montant record de 1,7 milliard d’euros, une somme qui vise à « punir et dissuader ».

 

La Commission européenne n’avait jamais jusqu’ici infligé des amendes pour un montant cumulé aussi élevé dans des cas d’entente et abus de position dominante, a souligné le commissaire chargé de la Concurrence, Joaquin Almunia, au cours d’une conférence de presse. « Notre décision a une double ambition : punir et dissuader », a-t-il expliqué. Bruxelles « veut être sûre que les institutions financières travaillent pour l’économie réelle, et non dans l’intérêt de quelques-uns », a-t-il insisté.

 

La décision concernait les indices de référence interbancaires en euros (Euribor) et en yens (Libor et Tibor), déterminés chaque jour sur la base des taux auxquels les banques se prêtent de l’argent entre elles, et sur lesquels sont indexés une multitude de contrats et produits financiers.

 

Deutsche Bank, visée dans les deux enquêtes, devra à elle seule s’acquitter d’une amende totale de 725 millions d’euros. La banque allemande a réagi mercredi en soulignant que la décision de la Commission se rapportait « à des pratiques passées individuelles » et qu’elle avait déjà constitué les réserves nécessaires pour s’acquitter de l’amende.

 

La française Société Générale, visée uniquement dans l’enquête sur l’Euribor, a été condamnée à une amende de 446 millions. Elle a réagi elle aussi en rappelant qu’elle avait passé une provision pour litiges de 200 millions d’euros au troisième trimestre, portant sa provision collective totale à 700 millions fin septembre. Selon la Société Générale, « les faits répréhensibles concernent essentiellement un salarié » qui « a agi à l’insu de sa hiérarchie et de la direction de la banque ».

 

Quant à la britannique Royal Bank of Scotland (RBS), condamnée dans les deux affaires, elle devra payer 391 millions d’euros.

 

Au total, huit institutions financières ont été reconnues coupables de manipulation. Quatre ont participé à l’entente concernant l’Euribor et six à celle concernant le Libor en yens. Une infraction a concerné le Tibor.

 

« Pas la fin de l’histoire »

 

Mais seulement six de ces institutions devront payer des amendes. Dans le cas de l’Euribor, la britannique Barclays a bénéficié d’une immunité et échappera à toute sanction pour avoir révélé l’existence de l’entente à la Commission. Dans l’autre enquête, où ont aussi été condamnés JPMorgan (80 millions), l’américaine Citigroup (70 millions) et le courtier britannique RP Martin (247 000 euros), c’est la suisse UBS qui échappe à l’amende pour avoir révélé l’entente.

 

L’affaire du Libor a déjà donné lieu à de très grosses amendes dans différents pays. UBS a ainsi déjà dû payer 1 milliard de francs suisses, RBS 600 millions de dollars et Barclays environ 450 millions.

 

La banque néerlandaise Rabobank, qui a obtenu récemment des accords à l’amiable pour payer 774 millions d’euros dans trois pays pour manipulation du Libor, n’a pas été soumise à l’amende car « elle n’était pas impliquée dans les activités de cartel, selon notre enquête », a expliqué M. Almunia.

 

Mais les lourdes amendes infligées par la Commission « ne mettent pas fin à cette histoire », a insisté M. Almunia.

 

Deutsche Bank, RBS et Société générale ont vu leurs amendes réduites de 10 % pour avoir coopéré à l’enquête sur l’Euribor, mais une procédure a aussi été ouverte à l’encontre de la française Crédit Agricole, de la britannique HSBC et de l’américaine JPMorgan, et se poursuit dans le cadre de la procédure normale. Dans la deuxième enquête, une procédure a été ouverte à l’encontre du courtier en liquidités Icap et se poursuit aussi.

 

M. Almunia a par ailleurs précisé que la Commission enquêtait actuellement sur de possibles manipulations du franc suisse et « n’excluait pas d’autres investigations du même ordre ». Il a ajouté que la Commission avait reçu des informations sur des manipulations du marché des changes.

 

La Commission travaille aussi sur un autre front concernant les indices de référence. En septembre, elle a proposé de légiférer pour mieux les encadrer et les rendre plus transparents. Le texte prévoit aussi des sanctions administratives.

 

Ces dispositions viendront compléter le nouveau cadre législatif sur les abus de marché, qui prévoit des sanctions pénales en cas de manipulation d’indices, et sur lequel la Commission a dit mercredi « espérer trouver un accord dans les deux ou trois semaines qui viennent ».

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