Île d'Anticosti - Pétrolia lève le voile sur l’entente secrète

Plus de cinq ans après sa signature, l’entente conclue entre Hydro-Québec et Pétrolia lorsque cette dernière a mis la main sur des permis d’exploration pétrolière sur l’île d’Anticosti a finalement été dévoilée jeudi. Et tout indique que la société d’État ne retirera pas de sommes importantes d’une éventuelle exploitation, ont souligné des experts contactés par Le Devoir.
L’entente prévoit qu’Hydro-Québec recevrait une redevance qui se chiffrerait à 1 % sur les trois premiers millions de barils de pétrole produits par l’ensemble des puits qui seraient forés sur Anticosti. Le taux passerait à 2 % sur la portion entre trois et dix millions de barils, puis à 3 % sur la portion qui excède 10 millions de barils.
Ce taux ne s’appliquerait pas sur la valeur brute de la ressource. En fait, la redevance serait calculée « sur le prix moyen des raffineurs, nette des redevances gouvernementales et des coûts de transport ». Et le montant à verser à la société d’État s’applique uniquement sur la portion des intérêts cédés par Hydro au privé, soit 50 % d’intérêt dans 29 permis et 25 % d’intérêt dans six permis. L’autre portion de ces permis est détenue par l’entreprise Corridor Resources.
Professeur invité au Département de science économique de l’Université d’Ottawa, Jean-Thomas Bernard estime que les redevances par baril de pétrole de schiste extrait pourraient se chiffrer en cents. En supposant qu’un baril se vend 100 $, après les déductions prévues dans l’entente, Hydro-Québec pourrait recevoir une redevance basée sur 25 ou 50 % de ce montant. Pour une redevance atteignant 1 %, on parle de 50 cents le baril. Si la production dépasse les 10 millions de barils, la somme perçue atteindrait 1,50 $ le baril.
Hypothétique
« L’exploitation demeure très hypothétique, a toutefois insisté M. Bernard. Il n’y a toujours pas de pétrole qui a été extrait et les coûts d’exploitation seraient probablement assez élevés. » Il a ainsi souligné que le transport du brut pourrait être relativement onéreux. Il faudrait construire un réseau de pipelines sur l’île, mais aussi un port pour les pétroliers. On ne sait pas non plus si le pétrole serait raffiné au Québec.
Chercheur à l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques, Bertrand Schepper estime qu’il aurait été plus sage de conserver les droits d’exploration. Il a ainsi rappelé que les travaux menés par Hydro-Québec Pétrole et gaz avaient permis de détecter la présence de pétrole précisément dans la structure géologique aujourd’hui convoitée par le secteur privé. Des ingénieurs qui travaillaient alors pour la société d’État ont par la suite été embauchés par les deux entreprises qui contrôlent le sous-sol d’Anticosti, soit Junex et Pétrolia.
En rencontre au Devoir jeudi, la première ministre Pauline Marois a elle aussi critiqué l’entente signée sous le gouvernement Charest. « Elle ne nous semble pas très avantageuse pour le Québec. Là où on peut en tirer des avantages, c’est si nous décidons, dans ce cas-là, d’augmenter les redevances sur le pétrole de façon très considérable. »
Analyste en énergie, Jean-François Blain a insisté sur les risques environnementaux liés à une éventuelle exploitation sur Anticosti. « Le Québec en retirera-t-il des bénéfices économiques qui justifient les pertes environnementales que cette exploitation entraînera ? Fort vraisemblablement, non. La valeur des redevances que retirera le Québec, dans le meilleur des cas, ne compensera qu’une infime partie des dommages environnementaux irréversibles que l’on peut déjà prévoir. »
Selon une analyse produite par l’ingénieur géologue Marc Durand, les pétrolières devraient forer de 12 000 à 15 000 puits pour espérer extraire de 2 à 3 % des possibles ressources d’or noir d’Anticosti. Selon une estimation préliminaire, le sous-sol contrôlé par Pétrolia pourrait contenir plus de 30 milliards de barils de pétrole de schiste. Une première exploitation serait envisageable d’ici 2016.
Pétrolia prévoit effectuer des forages avec fracturation au gaz naturel dès 2014. On ignore totalement les impacts environnementaux de cette technique jamais utilisée au Québec. Le gouvernement Marois a néanmoins l’intention de laisser les pétrolières aller de l’avant avec l’exploration avant de mener une évaluation environnementale complète.