La City se bat pour conserver sa suprématie

Une « tentative flagrante de vol de la couronne financière de Londres », pour le bouillonnant maire de la ville, Boris Johnson. « Une grossière attaque nationaliste contre le Royaume-Uni », selon Vincent Cable, le ministre britannique du Commerce. Les déclarations de Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, reprises lundi 3 décembre en une du Financial Times, ont fait bondir dans la capitale britannique.

Il n’y a « pas de logique » à ce que Londres soit la première place financière européenne, puisqu’elle ne fait pas partie de la zone euro, a estimé M. Noyer. « L’essentiel de l’activité en euros devrait être fait au sein de la zone euro. Cela est lié à la capacité de la Banque centrale [européenne] à assurer la surveillance de sa monnaie », a-t-il ajouté.


Ces propos visent le coeur même du pouvoir de la City : le marché des changes [Forex]. Malgré les aléas de l’activité et les coupes claires dans les effectifs, Londres reste numéro un du Forex avec 38,1 % des transactions, contre 17,9 % pour New York et 5,6 % pour Singapour, selon le dernier rapport trisannuel de la Banque des règlements internationaux de 2010. La City contrôle 40 % des transactions en euros dans le monde - plus que tous les pays de la zone euro réunis. Les décalages horaires avantageux, le savoir-faire et la masse critique d’opérateurs expliquent cette prééminence. Depuis 2012, Londres accueille une zone offshore de négoce de la devise chinoise.


Dans l’entourage de M. Noyer, on tente de relativiser la sortie du gouverneur. « Ce n’est pas une attaque, mais un sujet de politique monétaire. La BCE a émis beaucoup de liquidités depuis la crise. Quand elle voudra réduire ses liquidités pour éviter les pressions inflationnistes, elle ne pourra le faire que dans les pays sous son contrôle monétaire », assure-t-on.


Talonnée par Hong-Kong


Au-delà des querelles de clocher, un élément peut expliquer ces réactions épidermiques : l’insidieuse remise en cause de la toute-puissance de la City. Fragilisée par la crise financière, ébranlée par les scandales bancaires, Londres craint aujourd’hui d’être marginalisée par la réforme de la supervision bancaire, au sein de laquelle la zone euro entend jouer un rôle central. La première place financière mondiale, qui représente 9 % du produit intérieur brut britannique, devrait être dépassée par New York cette année. Elle est aussi talonnée par Hong-Kong pour le nombre d’emplois, selon une étude du Centre for Economics and Business Research.


« En tant que capitale financière du continent, Londres n’est pas seulement un avoir britannique, mais européen… Il est vital d’assurer que les pays hors de la zone euro aient une voix égale lors des discussions sur l’instauration d’une union bancaire », soutient Mark Boleat, un responsable de la City of London Corporation, le lobby de la place.


Même affaiblie, la City conserve plusieurs longueurs d’avance sur ses concurrentes d’Europe continentale. À commencer par Paris, confrontée à l’atonie de son marché boursier et à l’exil de ses banquiers d’investissements et autres courtiers - Nicolas Chanut, patron d’Exane, s’est installé à Londres. « Le développement d’une place offshore est d’abord lié à des questions fiscales et réglementaires. Sur le marché des devises, Londres reste la référence », conclut Nordine Naam, stratégiste chez Natixis.

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