Entrepreneuriat - Le grand jeu de l’économie

Le Chili réunit des entrepreneurs venus de partout dans le monde et leur donne l’occasion de se connaître, d’apprivoiser le pays, de développer leurs idées. Sans rien demander en retour. «Amusez-vous», leur dit-on. Et cela rapporte: 700 nouveaux emplois créés depuis que le programme Start-Up Chile existe, c’est-à-dire depuis 18 mois.
Photo: Torsten Silz Le Chili réunit des entrepreneurs venus de partout dans le monde et leur donne l’occasion de se connaître, d’apprivoiser le pays, de développer leurs idées. Sans rien demander en retour. «Amusez-vous», leur dit-on. Et cela rapporte: 700 nouveaux emplois créés depuis que le programme Start-Up Chile existe, c’est-à-dire depuis 18 mois.

Nicolás Shea a le sentiment d’avoir trouvé une solution au problème de tous les gouvernements en quête de moyens de stimuler la créativité et la croissance de leur économie. « Le secret de l’innovation ? Réunissez au même endroit un groupe d’entrepreneurs brillants et laissez-les avoir du plaisir ensemble. »

Le Chilien est à l’origine d’un nouveau programme de son gouvernement qui attire l’attention de bien des observateurs à l’étranger, au point de faire déjà des émules dans d’autres pays. Le principe de Start-Up Chile est assez simple. Il consiste à inviter de futurs entrepreneurs triés sur le volet à venir vivre six mois au Chili, tous frais payés, sans aucune autre obligation que de participer à quelques conférences et rencontres de réseautage à travers le pays. Cette offre vient avec un visa de séjour d’un an, le logement, 40 000 $ de mise de fonds dans des projets d’entreprise qui n’ont pas à se réaliser au Chili, mais surtout avec un tas d’activités plus ou moins organisées visant essentiellement à passer de bons moments entre participants. Plus de 5600 candidatures ont été reçues en seulement un an et demi. Un peu moins de 900 d’entre elles, de 35 pays différents, ont été retenues.


« On veut que les gens s’amusent ensemble, apprennent à se connaître, échangent sur leurs projets et découvrent les ressources que leur offre le Chili, a expliqué, il y a un peu plus d’une semaine, le fondateur du programme lors du World Entrepreneurship Forum qui se tenait à Lyon, en France. On sait que la plupart repartiront après leur séjour, mais on fait le pari que certains choisiront de rester et que d’autres voudront maintenir des liens d’affaires au Chili. Quand on y pense, ce programme ne nous coûte vraiment pas cher étant donné son potentiel de création de richesse et d’emplois. »


L’expérience aurait déjà créé au moins 700 nouveaux emplois et serait sur le point d’être copiée, notamment par le Portugal et le Brésil. « Il est hallucinant de voir des pays comme les États-Unis dépenser des fortunes pour attirer dans leurs universités les meilleurs esprits de la planète, mais les mettre à la porte aussitôt leurs études terminées, s’exclame Nicolás Shea, qui avoue trouver un grand nombre de ses candidats dans les campus américains. Ces gens ne sont pas des voleurs d’emplois, mais des créateurs d’emplois. Si des pays sont assez fous pour se débarrasser d’eux, nous, nous sommes ravis de les accueillir chez nous. »


Écosystèmes


Réunissant 200 chefs d’entreprise, entrepreneurs sociaux, experts et décideurs politiques de 60 pays, la 5e édition du World Entrepreneurship Forum avait pour thème, cette année, les « écosystèmes entrepreneuriaux » et la façon dont ils peuvent servir, non seulement la prospérité, mais aussi la justice sociale. Les expériences souvent citées en la matière sont la Silicon Valley en Californie, les programmes mis en place par le MIT à Boston, les politiques d’encouragement aux entreprises en démarrage en Israël ou encore à Singapour, a noté la biologiste convertie aux études entrepreneuriales, Lily Chan. Comme leurs versions écologiques, ces écosystèmes sont constitués à la fois d’un environnement (politiques, fiscalité, accès aux marchés, ressources financières, infrastructures, système d’éducation, main-d’oeuvre disponible, etc.) et d’acteurs (partenaires d’affaires, sous-traitants, concurrents, parasites, etc.).


Les pouvoirs publics oublient souvent qu’il faut du temps avant que de bonnes conditions donnent des résultats, déplore la chercheuse de Singapour. On oublie aussi que chaque écosystème a ses particularités et que ce qui fonctionne bien à un endroit ne peut pas toujours être repris ailleurs.


La ville chinoise d’Hangzhou avait dépêché à Lyon un représentant pour y vanter l’extraordinaire environnement offert aux investisseurs étrangers. Qualifiée, paraît-il, de ville « la plus heureuse de Chine » en raison de sa joie de vivre, elle s’est entre autres targuée du dynamisme de ses secteurs de haute technologie et de créativité, de ses 38 collèges et universités, ainsi que de son nouvel engagement à répondre à certaines critiques à l’égard de la Chine en défendant avec plus d’acharnement la propriété intellectuelle.

 

Une histoire de relations interpersonnelles


Tout cela est bien joli, mais ça ne dit rien sur le facteur le plus important dans le démarrage et le développement d’entreprises, martèle Geneviève Morand, qui a mis sur pied en Suisse un réseau social d’entrepreneurs qui compte aujourd’hui 40 000 membres et qui organise aussi, chaque semaine, dans différentes villes, des pique-niques où les entrepreneurs peuvent se retrouver en petits groupes pour partager leurs expériences et s’entraider. On avait l’habitude d’être dans un monde où l’entrepreneuriat était un processus linéaire dans lequel on cherchait de façon relativement indépendante à rassembler les moyens de réaliser son projet. On est aujourd’hui dans un monde plus complexe où un projet doit être pensé et réalisé dans un cadre systémique où les relations d’interdépendance sont centrales. « En un mot, tout est devenu une question de réseau et, plus particulièrement, de relations interpersonnelles. » On revient à l’expérience chilienne.


L’importance de la relation personnelle s’observe aussi quand vient le temps de transmettre les valeurs et les habiletés entrepreneuriales, poursuit Fernando Dolabela, professeur, chercheur et auteur à succès du Brésil. « On s’est rendu compte que la meilleure façon de faire cet enseignement n’est pas d’aller à l’école, mais de faire comme on l’avait toujours fait par le passé, c’est-à-dire en mettant directement la main à la pâte et en apprenant auprès d’autres entrepreneurs. »


L'exemple québécois

Ce discours est de la musique aux oreilles de Nathaly Riverin. Directrice générale de l’École d’entrepreneurship de Beauce, elle n’a plus, en effet, à être convaincue du pouvoir pédagogique et motivateur de la rencontre d’entrepreneurs. Fondée par le président du Groupe Canam, Marc Dutil, et commanditée entre autres par la Caisse de dépôt et placement, la Banque Nationale et le Mouvement Desjardins, cette école sans professeur qui fête ses deux ans vise essentiellement à mettre en relation de petits groupes d’élèves entrepreneurs avec de grands entrepreneurs à succès - tels que Laurent Beaudoin de Bombardier, Jean Coutu des pharmacies du même nom, Alain Lemaire de Cascades et Aldo Bensadoun des magasins de chaussures Aldo - dans le cadre de séminaires et de toutes sortes d’activités sportives et sociales.


« Notre façon de fonctionner donne de très bons résultats et commence à attirer de plus en plus l’attention au Canada et dans d’autres pays, confiait Nathaly Riverin en marge de la conférence. Ce que j’ai entendu à Lyon me confirme que nous sommes sur la bonne voie et que cela fait de nous un chef de fil en la matière. »


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Apprendre à mieux aider


Il existe une façon plus facile de promouvoir l’innovation et la création d’emplois que celle de soutenir par tous les moyens le démarrage de nouvelles entreprises, fait remarquer le chercheur et entrepreneur Raphael Cohen. Il s’agit simplement d’aider les entreprises existantes à mieux exploiter toutes les ressources dont elles disposent déjà.

« Les gouvernements ont la manie de fonctionner en silos et de croire que leur seule façon d’aider l’innovation est d’aider à la création de nouvelles entreprises », faisait remarquer le Suisse en marge de la 5e édition du World Entrepreneurship Forum. Le problème est que la création d’une nouvelle entreprise requiert beaucoup de temps et d’efforts pour donner à une nouvelle idée du savoir-faire, du financement, du personnel qualifié, des équipements de production, des clients, des fournisseurs, des marchés d’exportation, ou encore des capacités d’expansion.


Les entreprises existantes, surtout les plus grosses, ont déjà tout cela. La seule chose qui leur manque, souvent, c’est la capacité de générer de nouvelles idées, mais bien plus encore, les outils pour les exploiter. Une fois ces processus d’innovation mis en place, les compagnies établies représentent un levier de création d’emplois beaucoup plus puissant que des entreprises qui partent de zéro.


Pour les aider, dit Raphael Cohen, les gouvernements doivent oser aller plus loin que les subventions à la recherche et au développement, et encourager aussi l’innovation en matière de gestion, de marketing et de modèle d’affaires. Il ne s’agit pas d’abandonner les entreprises en démarrage, mais d’ajouter une autre corde à son arc.


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Le Devoir était l’invité du World Entrepreneurship Forum qui s’est tenu du 24 au 27 octobre à Lyon, en France.

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