Point chaud - Québec «ne comprend pas l’impact économique de ses décisions»

Françoise Bertrand
Photo: FCCQ Françoise Bertrand

Rarement a-t-on vu une telle unanimité dans la communauté d’affaires québécoise, affirme Françoise Bertrand. « On ne voit pas cela souvent. Notre conseil d’administration compte, entre autres, des représentants de 25 secteurs économiques et d’une trentaine des 155 chambres de commerce membres de la Fédération. On a tous reçu les mêmes appels téléphoniques de membres extrêmement inquiets. »

La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), qu’elle préside depuis 2003, a dénoncé vendredi les décisions prises par le nouveau gouvernement de Pauline Marois. « Des décisions majeures, disait-on, sont arrêtées de manière précipitée, sans consultation des communautés ou des entreprises les plus directement touchées et sans évaluation minimale de leurs effets sur l’économie ».


« Le gouvernement ne comprend pas l’impact économique de ses décisions, résume celle qui est porte-parole de 60 000 entreprises et de 150 000 gens d’affaires. On ne pourra pas l’aider s’il n’ouvre pas rapidement les canaux de communication avec les milieux d’affaires. »


La FCCQ en avait notamment contre l’annonce de la hausse rétroactive des taux d’imposition des contribuables les plus riches ainsi que sur le gain de capital et les dividendes. On a même vu dans ces annonces, et dans « le ton belliqueux de certains ministres », quelque chose qui s’apparentait à « un acte d’hostilité ».


« Ce n’est pas seulement qu’on veuille pénaliser le succès qui dérange, explique l’ancienne patronne de Télé-Québec et du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Il faut comprendre aussi qu’il y a beaucoup d’entrepreneurs qui se payent seulement en dividendes, c’est-à-dire seulement quand leur compagnie fait des profits. »


On reproche aussi au gouvernement de promettre un resserrement draconien des conditions d’exploitation des richesses minières et d’exprimer des réserves sur l’avenir du gaz de schiste avant même que les études environnementales stratégiques ne soient terminées.


« Qu’on n’appelle plus cela le Plan Nordet qu’on le considère autrement. Pas de problème ! », assure Françoise Bertrand. Tout le monde comprend et conviendra aussi que les ressources naturelles ne peuvent pas « être développées n’importe comment », dit-elle. « Mais si chaque petite étape doit être examinée par le [Bureau d’audiences publiques sur l’environnement], comme on couperait un éléphant en fines tranches, ce serait l’équivalent d’appliquer un moratoire. »


Un projet d’investissement de « presque 100 millions » serait ainsi actuellement bloqué sur le bureau de la ministre des Ressources naturelles, affirme-t-elle, sans vouloir en donner plus de détails. « C’est le genre de projets qui finissent par se faire ailleurs s’ils attendent trop. »


On déplore également le « démantèlement » de l’ancien ministère du Développement économique qui a perdu son volet « Exportations » au profit du ministère des Relations internationales, et son volet « Innovation » au profit du ministère de l’Éducation.


« Cela paraît peut-être une bonne idée sur papier, mais toutes ces fonctions sont liées dans la réalité concrète des entreprises, rappelle Françoise Bertrand. Je vais faire de l’innovation, parce que ça va me donner de meilleurs produits et services qui me permettront de mieux attaquer les marchés québécois, canadien et à l’étranger. »


« Les plus socialisants »


De telles annonces arrivent au plus mauvais moment, dit-elle, alors que la croissance québécoise s’essouffle et que l’économie mondiale n’a toujours pas retrouvé ses assises depuis la faillite de la banque Lehman Brothers. « C’est sûr que, tant que les règles du jeu ne se clarifieront pas au Québec, les investissements étrangers vont être au ralenti. Mais, nous, on s’inquiète encore plus des investissements de la part des entreprises québécoises au Québec. Parce que, quand ces entreprises ne comprennent plus où on s’en va, on se retrouve avec un ralentissement de l’économie. »


L’image projetée par l’équipe de Pauline Marois depuis son élection est celle du « gouvernement le plus socialisant que le Québec ait connu », dit Françoise Bertrand. La porte que le ministre des Finances, Nicolas Marceau, dit avoir ouverte, la semaine dernière, face à ces critiques lui apparaît bien petite. « Je parlerais plutôt d’une fenêtre entrouverte », note-t-elle en riant.


« Il faut reprendre le chemin de la mesure, de la connaissance. Le développement durable, c’est essentiel, c’est incontournable, mais cela comprend trois dimensions : l’environnement, le social et… l’économie. Sans croissance économique, pas d’emploi et pas de richesse à repartager », martèle cette diplômée en sociologie et en études environnementales.

 

Démocratie participative


Selon Françoise Bertrand, les gens d’affaires sont prêts à collaborer avec le nouveau gouvernement. « On accepte le changement de gouvernement. On croit en la démocratie. Mais pour que la démocratie s’exerce avec sérénité, elle ne peut pas se faire de façon autocratique ou seule dans son coin. »


« À notre connaissance, il y a toujours eu un dialogue entre le milieu des affaires et les gouvernements, soient-ils péquistes ou libéraux », dit-elle.


Elle convient d’ailleurs volontiers que les gouvernements du Parti québécois ont favorisé l’essor de l’économie québécoise et de ses gens d’affaires à plus d’un égard. Elle cite elle-même les exemples du Régime d’épargne-actions (REA) de Jacques Parizeau et le Fonds d’intervention économique régional (FIER) de Bernard Landry.


« Notre problème n’est pas avec LES gouvernements péquistes, mais CE gouvernement péquiste », précise Françoise Bertrand. « Certains utilisent l’expression “péril en la demeure”. Nous, on préfère dire qu’on est inquiets, qu’on est préoccupés et qu’il faut établir, sans délai, un dialogue. »

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