Les sables bitumineux, un «trésor national» à vendre au Québec

Les Québécois auraient tout intérêt à manifester davantage de fierté à l’endroit du pétrole des sables bitumineux albertains, une source d’énergie fossile qui cadre très bien avec leurs « valeurs », selon le président et chef de la direction de Canadian Oil Sands, Marcel Coutu. Ce dernier estime aussi qu’une partie de cet or noir, d’une consistance similaire au « beurre d’arachide », devrait être acheminée vers le Québec pour y être raffinée.
« Les valeurs auxquelles le Québec adhère, soit l’égalité entre les hommes et les femmes, les emplois bien rémunérés pour les travailleurs et la responsabilité environnementale sont toutes des valeurs exprimées dans les sables bitumineux. Les Albertains sont fiers de ce trésor national et les Québécois devraient ressentir cette même fierté », a-t-il fait valoir au cours d’une allocution prononcée à la tribune de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain.
Il a d’ailleurs insisté sur le caractère « éthique » et « moral » de ces imposantes ressources pétrolières au cours de son discours. M. Coutu, qui fait partie d’une délégation albertaine actuellement en mission au Québec, a notamment opposé l’exploitation menée par diverses multinationales en Alberta aux importations venues des pays du Moyen-Orient et du Venezuela.
Dans ce contexte, son plaidoyer en faveur des très controversés sables bitumineux se voulait aussi un appel à une plus grande indépendance énergétique. « D’un point de vue national, je considère qu’on devrait consommer notre pétrole », a souligné celui qui est à la tête du premier producteur de pétrole brut fabriqué à partir des sables bitumineux du Canada.
Selon Marcel Coutu, les producteurs de pétrole de l’ouest du pays auraient tout à gagner à faire couler une partie de leur production vers le Québec. Alors que les géants de l’énergie fossile comptent plus que doubler leur production quotidienne d’ici 10 ans - de 1,5 million de barils par jour à 3,5 millions de barils -, il est plus que jamais nécessaire de trouver des débouchés. Et tous les pipelines nécessaires pour relier le Québec existent déjà. Même que l’entreprise Enbridge a annoncé hier en début de soirée son intention d’inverser le flux du tronçon nécessaire pour mener à bien ce projet.
« Le Québec est un meilleur marché que là où on vend nos barils, a soutenu M. Coutu. Par exemple, il faut les amener jusqu’au golfe du Mexique, ce qui coûte très cher. On serait mieux de les amener au Québec. » Tous les principaux joueurs du secteur ont déjà évoqué cette possibilité. Même le ministre canadien des Ressources naturelles, Joe Oliver, a dit plus tôt cette année qu’il serait tout simplement « fantastique » d’utiliser le réseau de pipelines qui voyage sur des centaines de kilomètres dans le Sud québécois pour exporter du pétrole tiré des sables bitumineux vers les États-Unis.
M. Coutu a lui aussi évoqué la possibilité d’exporter du pétrole en passant par le Québec. Mais il estime surtout que les sables bitumineux permettraient de répondre aux besoins des deux raffineries de la province, soit celle de Suncor, à Montréal, et celle d’Ultramar, près de Québec. Ces deux installations industrielles traitent selon lui 330 000 barils par jour, soit près de la moitié de ce qui serait transporté par le pipeline Keystone XL.
André Boisclair, conseiller de l’entreprise gazière albertaine Questerre Energy - active dans la recherche de gaz de schiste au Québec -, voit lui aussi d’un bon oeil l’idée d’acheminer du pétrole des sables bitumineux vers Montréal. Selon lui, un tel projet serait bénéfique pour l’économie de la métropole, puisqu’il nécessiterait des « investissements significatifs ». « Il y a là un enjeu de positionnement stratégique pour le Québec qu’on ne peut pas ignorer », a dit l’ancien ministre de l’Environnement du Québec au cours d’un entretien avec Le Devoir, en marge de la conférence de Marcel Coutu.
M. Boisclair a ajouté que le Québec est « situé sur une côte, avec de magnifiques structures portuaires ». Est-ce que cela veut dire qu’il pourrait éventuellement devenir le point de départ pour l’exportation de ressources pétrolières et gazières ? « Il y a des opportunités », a-t-il répété, sans préciser davantage sa pensée.
Il estime par ailleurs que les citoyens jugent prématurément les entreprises qui pressent pour une exploitation du gaz de schiste au Québec. « En ce moment, les Québécois sont en train de juger l’industrie gazière comme certains Montréalais qui discutent la prochaine saison des Canadiens de Montréal sans qu’on connaisse le nom de l’entraîneur des Canadiens pour la prochaine saison. On juge sans connaître l’ensemble de l’oeuvre. » L’évaluation environnementale stratégique en cours et l’adoption éventuelle d’une réglementation « appropriée » devraient changer la donne, selon André Boisclair. « Je pense que le dossier va se présenter d’une autre façon. »
Ce n’est pas l’avis des organisations environnementales qui ont « accueilli » la délégation albertaine hier matin à l’entrée d’un chic hôtel de Montréal. « Nous assistons à une nouvelle tentative de séduction par les compagnies gazières au Québec menée par Michael Binnion et André Boisclair, qui, cette fois, s’unissent même aux pétrolières pour nous vanter les mérites des sables bitumineux. Les Québécois ne sont pas dupes, ils sauront reconnaître que les pétrolières et gazières n’ont que leur bien à coeur, qui lui, est bien loin du bien commun », a ainsi souligné le metteur en scène Dominic Champagne.