Le pari de Luc Beauregard

Le fondateur de National, Luc Beauregard, se définit encore aujourd’hui comme étant un journaliste dans l’âme et un conseiller en relations publiques par choix.
Photo: Pedro Ruiz - Le Devoir Le fondateur de National, Luc Beauregard, se définit encore aujourd’hui comme étant un journaliste dans l’âme et un conseiller en relations publiques par choix.

Les Presses de l'Université du Québec procèdent aujourd'hui au lancement de la biographie de Luc Beauregard. L'ouvrage de 360 pages devient l'occasion d'un retour historique sur les événements d'octobre 1970, sur les démêlés de Brian Mulroney dans l'affaire Airbus, sur la vente du Canadien de Montréal ou encore sur la disparition du Montréal-Matin. Avec, pour toile de fond, la création de ce qui est devenu la première firme de relations publiques au Canada. Ce qui n'empêche pas Luc Beauregard de commenter, parfois avec nostalgie, l'évolution parallèle d'une autre profession, celle du journalisme, qui retient tout son respect.

S'il avait écrit lui-même sa biographique, Luc Beauregard aurait parlé davantage de son entreprise, moins de lui. Mais les auteurs, Jacqueline Cardinal et Laurent Lapierre, ont préféré diriger les projecteurs sur l'individu, avec le thème du leadership pour axe principal.

«Dans On dirige comme on est, Laurent Lapierre souligne à larges traits que les erreurs sont importantes. Certaines de mes erreurs ont donc été revisitées», déclare avec sourire le président fondateur du cabinet de relations publiques National. Ces deux auteurs, spécialistes en leadership et en rédaction de biographies, ont également su placer les événements dans leur contexte historique. Luc Beauregard pense notamment au sombre épisode de l'enlèvement puis de l'assassinat de Pierre Laporte, temps fort de la crise d'octobre 1970. «Ce fut le tournant de ma carrière, un moment charnière dans ma vie», résume-t-il, en entrevue. Il était alors invité par Pierre Laporte à réfléchir à un poste de directeur des communications au ministère de l'Immigration au sein du nouveau gouvernement Bourassa.

Auparavant journaliste à La Presse, puis attaché politique au sein du gouvernement de l'Union nationale, Luc Beauregard se retrouvait plongé en pleine réflexion, avec les relations publiques pour principale avenue. Il était alors appelé à mettre sa double expérience en journalisme et en politique dans la fondation d'un cabinet avec les relationnistes Roger D. Landry et Roger Nantel. Les événements d'octobre 1970 ont précipité les choses, et donné naissance à Beauregard Landry Nantel et associés.

À 32 ans, alors qu'il se croyait enraciné dans sa carrière de relationniste, Luc Beauregard revient au journalisme. En 1973 il se voit confier le poste de président et éditeur du Montréal-Matin, nouvelle propriété de Gesca acquise afin de protéger La Presse contre les avancées du Journal de Montréal. Celui qui se définit encore aujourd'hui comme étant un journaliste dans l'âme et un conseiller en relations publiques par choix n'a pas hésité une seule seconde. Il s'est cependant retrouvé à la tête d'un journal placé sous respirateur artificiel, sans ressources financières, devant des employés représentés par 14 syndicats différents revendiquant les mêmes conditions de travail qu'à La Presse. La saga du Montréal-Matin se déroulera en trois actes et durera quelque trois ans, Luc Beauregard jetant les bases de National en 1976.

Journaliste-citoyen

Le fondateur de ce qui est devenu la plus grande firme de relations publiques au Canada, 15e au monde dans la liste des cabinets indépendants, parvient, encore aujourd'hui, à cohabiter avec ces deux frères ennemis qui composent son parcours professionnel. «Être journaliste pendant dix ans, ça modèle quelqu'un.» Dans la biographie, Luc Beauregard se montrera toutefois plutôt perplexe quant à l'évolution d'un métier pour lequel il conserve «beaucoup d'admiration et d'attirance». «C'est un peu un réflexe, devant des journalistes parfois critiques, voire méprisants face à notre discipline. Mais je dis à mes collègues qu'il faut cesser d'être complexés. Nous existons comme industrie. Nous avons démontré notre utilité.»

Le spécialiste présente le praticien des relations publiques comme étant «l'avocat de l'entreprise auprès du tribunal de l'opinion publique où préside le journaliste». Il lui arrive de s'ennuyer de la rigueur journalistique d'autrefois, de déplorer le mélange des faits et du commentaire trop souvent pratiqué aujourd'hui, qui ne laisse pas le lecteur se faire sa propre idée. «Le journaliste fait les choix qui orientent l'opinion», rappelle-t-il. L'avènement de ce qu'il appelle le journaliste-citoyen incite la profession à s'interroger sur ses propres règles en matière d'éthique. «À mon sens, avec la confusion des genres, il n'y a plus d'opinion publique informée. Il y a une opinion publique dirigée et provoquée», écrit-il en épilogue.

Le journalisme a beaucoup changé avec la nouvelle en continu. Il est encore en train de changer avec Internet et les médias sociaux. «L'information en continu provoque le leadership en continu. Tout devient rapide, plus rapide. Une nouvelle chasse l'autre plus rapidement, ce qui n'est pas nécessairement à l'avantage de la qualité de l'information. Sur ce point, je dirais même que le niveau de l'eau a baissé pour tous.»

Est-il inquiet pour la profession du conseiller en relations publiques? «Non, cela ne fait qu'élargir notre métier, le rendant toutefois plus difficile. Cela devient une nouvelle source d'affaires pour nous. Et les médias traditionnels ont encore une influence. L'éditorial a encore plus d'impact que les médias évanescents.» Mais tout évolue désormais en temps réel, par téléphones intelligents interposés, ce qui n'empêche pas Luc Beauregard de maintenir que la meilleure communication est d'abord l'action. «Le principe d'être jugé pour ce que tu fais ne change pas. Les belles paroles restent des paroles.»

Luc Beauregard voudrait qu'on retienne de cette biographie la fierté d'un entrepreneur ayant créé une entreprise vieille de 35 ans maintenant oeuvrant à travers le Canada et au-delà, déployant 15 bureaux dans 12 villes, dont New York et Londres, ayant chacun à sa tête un dirigeant de talent qui connaît sa communauté. National évolue dans un petit domaine, face à des géants, notamment américains, pouvant se déployer à l'international en accompagnant de grandes entreprises transnationales. «Nous voulions fonder une entreprise qui durerait au-delà de ses créateurs. Tout repose donc sur la qualité des personnes recrutées.» Luc Beauregard, qui a cédé les rênes de l'entreprise il y a trois ans, estime, humblement, que «National a écrit le livre des relations publiques au Canada».

Dans Le pari de la vérité, un passage est consacré à l'arrivée de Roger D. Landry au poste de président et éditeur de La Presse, après avoir conseillé de formuler une proposition osée qui a permis de tasser Roger Lemelin. Encore amer de sa difficile relation dans la saga du Montréal-Matin, Luc Beauregard «savourait secrètement sa douce vengeance sur Roger Lemelin», écrivent les auteurs de la biographie, qui évoquent «l'agréable expérience d'une forme de pouvoir oblique».

Un autre passage est consacré à son expérience parallèle à titre de président du conseil d'administration de l'Association montréalaise d'action récréative et culturelle (abritant La Ronde et les pavillons de l'Expo 67) en 1982, en remplacement de Roger D. Landry, sur acceptation du maire Jean Drapeau. Il a eu à découdre avec les médias, davantage avec Le Devoir et son rédacteur en chef, Paul-André Comeau, avec des manchettes dénonçant une présumée situation de conflit d'intérêts. Après présentation des faits, il n'a eu droit qu'à une fin de non-recevoir. Fidèle lecteur du Devoir pendant 30 ans, il annula alors son abonnement personnel.

Luc Beauregard serait-il revanchard? «Non. Mais disons que j'ai la mémoire longue.» Il prend soin d'ajouter qu'il est, aujourd'hui, abonné à la version électronique du Devoir.

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